Des vannes sur Nick Kent et les parigots. En marchant avec Antoine, tout sourire ultrabrite et blagues potaches (vas-y que je me cache derrière un poteau), j’admirais l’intégrité du bonhomme. Vieux-beau classe et cool, un emblème n’ayant pas à rougir. Il y aura quelques trucs à jeter au moment de rédiger sa nécro, mais il a toujours fait ce qu’il voulait. Id est, ce qu’il était. Entier, à la scène comme à la ville. Deux minutes plus tard, dans un salon, je découvrais que l’intégrité a pour revers l’intransigeance.

«Je ne suis pas Mao Zedong. Je fais pas suivre le pays derrière ma bannière étoilée. Je me bats pendant quelques années pour poser certaines choses, et au moment où on me dit « vas-y maintenant, amuse-toi avec » j’ai l’impression que c’est une récompense et que je participe à la fois à quelque chose de plus large. Ce serait un peu égotique et égomaniaque de dire ‘Ouais, excusez moi les gars mais c’est moi qui ai déclenché tout ça’». Dès l’entrée au palace de Deauville, on était passé du rire à un attentisme froncé. Comme zappé. A cette seconde-là, j’avais réalisé qu’assis en face de moi sur les coussins brodés de fleurs de lys, je n’avais plus un réalisateur ou un animateur, mais le type qui avait interviewé Dylan. Rien que ça. Mais aussi Neil Young. Springsteen. Dennis Hopper… Il savait comment on prépare une interview,  comment on les piège, comment on les fait parler, se confier. Monsieur De Caunes. Il a déroulé un sucre candy de son emballage, s’en est empiffré et a posé sur moi un regard fermé. A toi gamin. J’ai refermé mon moleskine, rayé mentalement les questions, et plongé en apnée.


Je voulais savoir pourquoi un jour on se réveille au milieu des années 80, avec autour de nous Métal Hurlant, Les Enfants du Rock, Dionnet, Manoeuvre… C’est un phénomène dans lequel tu es complètement impliqué. Le déclencheur ?

Ça correspond pas mal au changement d’époque – une époque qui m’intéresse, j’ai fait un film là-dessus. C’est la fin d’un système, d’un régime, un pouvoir politique qui était en place depuis 23 ans avec une France qui était un peu résignée, un peu tiède, qui s’ennuyait pas mal. Un changement à la tête des médias principaux dont le service publique avec le retour de [Pierre] Desgraupes et l’arrivée de gens comme Lescure, De Greef qui avaient l’intention de redonner une vraie place à tout ce qu’on peut résumer sommairement sous le vocable de pop culture, la sous-culture de l’après guerre. Et d’un seul coup il y a eu les moyens et l’énergie de travailler. De mettre en forme des formats dans la presse, dans la bande dessinée, dans la radio évidemment avec l’explosion des radios libre, et à la télévision.

Avant, ce n’était pas possible ?

On sortait d’une longue période de… C’était l’après-guerre, c’était la guerre d’Algérie, c’était 68, il y avaient des bouchons qui sautaient comme ça de temps à autres mais dans une France avec un pouvoir politique très fort. (…) Avant on ne pouvait pas, ou c’était très difficile. On était un des rouages de la machine.

Techniquement, qu’est ce qui change ?

Jusqu’alors quand on faisait de la télévision – et c’est encore ce que vous voyez aujourd’hui – en-dessous d’un certain taux d’audience, en parts de marché comme ils disent, c’était pas bien. Or le point de vue de Desgraupes, le DG qui avait été nommé par Mitterrand en 81, c’était exactement le contraire. On considérait que le grand public n’est pas une espèce de masse informe qu’il faut satisfaire comme ça de manière inconsidérée, mais que c’est l’accumulation de plein de micro-publics qui chacun ont un intérêt pour… je sais pas : la pêche, la chasse, le rock, la présence du Seigneur. Et qu’il fallait satisfaire ces publics. Mais ça ne veut pas dire trouver un dénominateur commun pour tous en même temps. Il n’existe pas ! Donc pour Les Enfants du Rock par exemple, notre cahier des charges c’était de faire 5% ; ça représentait 2 millions de téléspectateurs, ce qui, posé comme ça, est énorme ! Deux millions de gens qui regardent la même chose en même temps. Sauf que c’est un raisonnement qui n’avait jamais eu cours en télévision. Et là d’un seul coup, on se retrouve dans un créneau dont on sait qu’il est protégé parce que le mec qui est à la tête de la chaîne a décidé qu’on fait le plein de notre audience si on fait 5%. C’était extraordinaire. Ça nous a donné une liberté de travailler, on n’était pas obligé d’inviter Jean-Jacques Goldman sous prétexte qu’il fait plus de blé.

J’y vois moins un changement politique que culturel. Je pense notamment à la queue de la comète punk…

Bien sûr, tout converge à un moment donné. C’est à dire que s’il n’y a pas les moyens de mettre en place de nouveaux circuits, de donner la parole à des gens qui ne l’avaient pas jusqu’alors, et bien ça reste dans une marginalité et une contre-culture. Ce que c’était. Là, d’un seul coup, il y a l’accès presque officiel à des médias et des médiums lourds sur lesquels on peut proposer des alternatives à ce qu’on avait jusqu’alors. Moi, mon expérience à l’époque c’est une émission qui s’appelle Chorus, qui dure 3 ans, qu’on tient à bout de bras, c’est un combat toutes les semaines pour arriver à faire l’émission de la semaine suivante. Mais par ailleurs, à une période, 78-81, où la musique part dans tous les sens. C’est hallucinant ce qui se passe ; on parle toujours du punk 75-77 mais il faut se dire que 78-81 c’est… (Il hoche la tête avec des grands yeux convaincants) C’est énorme.

A l’époque on retrouve quelques personnes partout, dans plusieurs médias. Manoeuvre dans la presse, l’édition, la télé. Dionnet pareil. Lescure en radio et télé. Vous étiez prêts à bouger dans plusieurs milieux.

La particularité de l’époque dont on parle c’est que… Si on prend par exemple l’histoire de Canal, au démarrage, il y a qui à la tête ? Il y a un patron de chaîne qui s’appelle Lescure – bon il y a Rousselet ! Rousselet c’est une espèce de démiurge, qui est un vieil homme et un mec intelligent, qui sent l’époque et qui surtout sait déléguer. Qui fait confiance. Et qui confie à quelqu’un comme Lescure, qui vient du journalisme, du terrain, qui sait ce que c’est que de fabriquer de la télévision – et Lescure qui lui-même fait venir De Greef, chef d’atelier à Antenne 2 à l’époque avant d’avoir été chef monteur, enfin qui lui aussi sait ce que c’est que de fabriquer du flux, du programme. A qui on donne la possibilité de fabriquer une chaîne. Bien évidemment, avec un cahier des charges ; c’est une chaîne privée donc il faut que l’argent rentre, il faut que les gens s’abonnent, il faut trouver des arguments pour les inciter à venir. Et ils engagent toute une bande de gens pour donner une couleur et une humeur à cette chaîne. Canal, ça a été un carrefour mis en place par des gens qui savaient pertinemment ce qu’ils faisaient.
La définition d’un carrefour, c’est lorsqu’on arrive chacun d’une direction différente (il mime un croisement), et après on repart dans des directions différentes. Mais on n’était pas soudés comme un groupe de rock. Il y avait beaucoup d’affinités entre nous – elles sont d’ailleurs toujours  là 25 ans après – mais on ne déboulait pas en disant « si vous virez  machin, je m’en vais aussi » avec tout le psychodrame habituel. C’était autant d’opportunités d’aller s’amuser avec un outil et d’essayer des trucs différents. J’avais jamais l’impression d’une routine ou de quelque chose qui tournait en rond. Et quand j’ai commencé à me faire chier, après 7 ans de Nulle Part Ailleurs, j’ai cassé. Je suis parti.

De Caunes par Magdalena Lamri

Bizarrement sur Rapido, entre la 1ère et la 2eme formule, tu as été obligé d’écourter. Ça lui a donné son ton, la rapidité du truc, mais c’est quand même une manière de s’adapter à la contrainte ?

Non, sauf que la première année c’était sur TF1. Moi je suis parti sur TF1 avec tout le monde d’ailleurs, Dechavanne, Cantien et compagnie, avec cette fausse idée que le milliardaire qui s’offrait TF1, Francis Bouygues, s’offrait ça comme on s’offre une danseuse. Pour s’amuser avec. Pas du tout en fait, c’était pour faire encore plus de blé ! Donc il y avait erreur de diagnostique, et du coup moi, mon magazine qui faisait 64 minutes et qui au départ devait être programmé vers 23H, s’est retrouvé à 3H du mat’ juste avant la chasse. Donc j’ai essayé de dealer avec les gens de la chaîne, on n’y est pas arrivé, alors je me suis barré. J’ai pris mes clics et mes clacs et je suis parti sur Canal.

Et le passage à Eurotrash ?

Bah en fait Eurotrash ça a été la continuité de Rapido. Il y a eu la directrice des programmes de la BBC, Janet Street-Porter, qui passait par la France et qui cherchait des idées de nouveaux shows, elle était tombée sur Rapido et avait adoré.  Elle m’avait dit « viens le faire en Angleterre » ; « ouais, mais vous allez prendre un mec à ma place pour présenter ? Je suis pas anglais, moi. » C’était quand même présomptueux un Français qui serait venu présenter une émission de rock en Angleterre, non ? (Il lève les sourcils un temps, hésite puis rit). Ça me le semblait à moi… Elle me dit « Non, pas du tout, tu vas le faire toi-même, c’est très bien. Au contraire, cela va plaire à tout le monde« . Finalement, ça a bien marché et quand Rapido s’est arrêté on en avait marre des émissions de rock ! Parce que ça faisait plus de 10 ans que je faisais ça ! Il y a un moment où on se retrouve à interviewer pour la 4e fois Jagger ou, pffff, parler pour la 28e fois du petit groupe de Manchester qui va très certainement faire un malheur, ça va… Donc j’en avais marre, mais en revanche on avait envie de continuer à travailler le format magazine et à faire un truc qui soit aussi déconnant et alternatif qu’avait pu l’être Rapido à son époque, et donc on a basculé sur l’idée d’Eurotrash. Qui lui-même a duré 10 ans. (petit sourire narquois)

C’est Ardisson qui disait que la télé est une drogue, qu’on ne peut pas arrêter une fois qu’on a commencé. Ce dont tu es l’antithèse en fait.

(il opine en jouant nerveusement avec un sucre)

Mais il disait surtout que quand il a commencé, il pensait que la télé c’était le média par lequel on pouvait espérer élever ne serait-ce qu’1% d’entre eux. Et il dit : « le jour où j’ai compris que ce ne serait pas possible, je me suis senti très malheureux ».

Ouais parce qu’il a commencé à faire un programme très alternatif qui était Lunettes Noires. Qui était très novateur pour l’époque, dans le ton, dans la manière de parler avec les gens, de casser le schéma habituel de l’interview Pivot ou Chancel.

Il y avait Polac tout de même…

Polac était une émission polémique. C’était beaucoup plus pointu ce qu’Ardisson faisait au départ. Et puis c’était un publicitaire, faut jamais oublier ça. Le pitch et l’idée l’emportent toujours sur le fond et sur ce que ça doit signifier réellement. (le sucre tourne toujours entre ses doigts) Mais par ailleurs ce qu’il a fait à ce moment-là était vachement bien. C’était une émission où il y avait un ton, il y avait une humeur, c’était quelque chose de totalement différent de ce qu’on avait eu avant. La télévision, c’est toujours une question de ton et d’humeur. C’est à dire qu’on peut revisiter tant qu’on veut les formats des talk-shows, la table, le triangle… C’est le ton ! Après, qui est là, qui parle, qui dit quoi… c’est de la mise en scène. Justement, partant de ça, oui ! Il a vraiment apporté quelque chose. Une différente manière de s’adresser aux gens, leur parler, de faire de la provoc, la drôlerie, enfin tout ça. Non, non, c’était très bien tout ça.

Donc vous l’avez attendue cette télé-là, vous avez obtenu les moyens, et vous l’avez faite. Alors pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, malgré la multiplication de moyens, d’accès, l’absence de censure ou presque, on ne retrouve pas cet élan commun ?

Je pense que le système s’est refermé. Il s’est reverrouillé, surtout les médias lourds, que ce soit la radio, la presse, la télévision… On est revenu à un discours d’après-guerre. A un pouvoir politique qui est très fort, qui exerce son autorité et se fait sentir partout. Il y a une auto-censure qui s’est mise en place très naturellement, et on est retombé dans un discours – officiel hein – très normé, très contrôlé. Mais pour moi c’est plutôt un bon signe ça. Parce que c’est toujours dans ces périodes-là que ça repart.

La seconde suivante, Antoine s’était remis à sourire. Ch-ch-ch-ch changes…

Réalisation vidéo: Nash
Montage: Bastien
Illustration: Magdalena Lamri

14 commentaires

  1. ce mec est une raclure de « fils de » dénué de talent
    par contre je chatouillerais bien la glotte de sa fille avec mon andouillette à col roulé

  2. Purée Igor, ça c’est du commentaire constructif! Je trouve au contraire qu’il a bien su se démarquer de ses parents, et avec un certain talent justement. Il a trouvé son truc, sa voie, en sachant se renouveler, diversifier ses activités et savoir dire ‘stop’ quand il a commencé à se faire chier. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Rapido, les Enfants du Rock, Chorus et même son truc en Angleterre étaient des putain de projets contemporains et bien ficelés. Sûrement le bon endroit au bon moment, oui (d’ac avec toi S.), mais pas que. Daniela Lumbroso était, elle aussi, au bon endroit au bon moment, est-ce que c’est une raison pour dire qu’elle est douée?

  3. Je suis d’accord avec Igor en ce qui concerne la fille de du fils de.

    De Caunes, un journaliste rock correct, puis un comique médiocre, puis un acteur consternant, puis un réalisateur catastrophique : c’est l’incarnation du Principe de Peter 2.0.

  4. Je ne suis pas d’accord c’est une des plumes comiques les plus raffinées de France (le digne héritier de F. Dard c’est lui !) et il a à son actif deux chefs-d’oeuvre injustement boudés par la critique et le public (mais nul doute que le temps lui rendra justice) : Monsieur N et Coluche, deux superbes fresques historiques portées par des acteurs magistraux.

  5. Vous avez oublié d’ajouter « lui même le seul héritier de Céline » après « le digne héritier de Frédéric Dard », puis de conclure par ces mots : « gageons que grâce à sa fille, digne héritière de Sophie Darel, cette soirée n’engendrera point la mélancolie »

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