(C) Sabrina Mariez
Des pieds, des lignes de basses funky… Détrompez-vous ! Contrairement aux apparences, ce label électronique et parisien ne fait pas dans la musique de club. Basé à deux pas du Bataclan, son boss Quentin nous explique le pourquoi du comment. À moins que. Enfin, si.

XIe arrondissement. Un des endroits qu’il est de bon ton d’aimer quand on vit à Paris. Et l’un des spots les plus cool de la capitale jusqu’aux récents attentats. C’est au milieu de ce quartier tendant à se “boboïser” que Quentin Vandewalle, jeune trentenaire faussement à l’arrache, a monté en 2012 et un peu par hasard le label Antinote, alors qu’il n’aurait jamais pensé devenir un jour label manager.

(C) Sabrina Mariez
(C) Sabrina Mariez

Cinq ans déjà que son label aligne des sorties trop rapidement cataloguées “électro pur beats” par des esprits Jivaros réducteurs d’étiquettes. On le retrouve pour en savoir plus dans un autre arrondissement, à Pigalle, devant La Machine, une salle du IXe à deux pas du Moulin Rouge. Les jambes-en-l’air ne sont pas de la partie. Quentin se la joue sobre, mais porte une chemise africaine et un pantalon extra-large qui (anti)dénotent dans ce temple parisien de la branchouille attitude. Interrogé sur son métier, ce jeune homme indique placidement qu’il travaille pour la musique des autres. “Antinote, c‘est de l’électro, c’est vrai. Mais aujourd’hui, tout est électronique, même un delay ou une reverb dans un groupe de rock.” Les autres dont on parlait à l’instant, ce sont des artistes qui viennent pour la grande majorité de la bande de potes de Quentin : Lueke, Albinos, Geena, Nico Motte, D•K•*, Panoptique, Domenique Dumont, Syracuse…  Et une écurie qui n’a plus vocation à s’agrandir, même si des exceptions à la doctrine maison existe, comme le somptueux Leonardo Martinelli, signé après envoi d’une ribambelle d’emails au maître de cérémonie pour qu’il daigne enfin écouter une de ses productions. Avant de le signer sans sommation, et sans compromis.

Rebelle de l’électro

Antinote, donc. À priori rien de neuf sous la boule à facettes. Des rebelles dans la musique, t’en trouves partout et pas que chez Motörhead. Au hasard, Anti records, le repère californien finalement pas si anti-establishment, ou Anticon, label chantre d’un novö-rap de fin du monde. Sauf que Quentin tue dans l’œuf toute volonté de rébellion : “Trouver un nom de label, c’est une tannée. On a fait des listes, on a retenu Antinote, proposé par Lueke. Je l’adore et je le hais, car mon boulot me prend parfois la tête. Mais c’est sobre et ça laisse de la place à l’imagination.”

« Que tu montes un magazine, une soirée ou un label, l’idée est la même : se démerder. »

Point barre. Ne surtout pas se fier à ce faux mou. Avec 24 sorties en 3 ans, le trentenaire ne chôme pas. Un rythme de croisière phénoménal pour un label “indé” calibré lilliputien. Une maison aux allures de niche. Aussi grande que celle du chien d’Ant-Man. Bien sûr, Antinote est une structure de production de disques indépendante et un bordel à mille lieux de mastodontes indés comme PIAS ou, dans une moindre mesure, Cinq 7. Quentin est un artisan, de la race de ceux qui font tout en mode solo ou presque. Contrairement à Lars Von trier, Q n’a pas ressenti l’appel du dogme. Ce côté Do It Yourself de l’auto-entrepreneur forcené n’a rien du vœu exaucé par le génie de la lampe magique. “Le DIY s’est démocratisé, non ? Ou alors c’est parce que tous les gens autour de moi font comme ils peuvent. Que tu montes un magazine, une soirée ou un label, l’idée est la même : se démerder. Je bosse seul depuis 3 ans, avec quelques aides ponctuelles, notamment pour les pochettes de disques qui sont faites par le collectif Check Morris.”

Musique pour tous, mêmes pour les cons

Le snobisme des débuts a rapidement été abandonné. Adieu les éditions ultra-limitées, désormais chaque nouvelle référence du label est systématiquement disponible en streaming, en digital et surtout en vinyle via le distributeur Rushhour. Même si le milieu n’est pas ultra-concurrentiel, la loi du marché libéral doit être respectée, et nul n’est censé l’ignorer. Si demande arrive, offre doit suivre. Tout le monde doit pouvoir accéder au son Antinote. Une évolution pas si simple, certains artistes du label souhaitant même conserver le caractère ultra-confidentiel des débuts. J‘ai immédiatement adopté le vinyle. Pour le digital, on a attendu un an et demi. Le concept m’échappe, j’ai besoin de palpable. Notre première référence, c’était 300 copies avec pochettes sérigraphiées à la main et pas de repress. De la niche hardcore. C’était ridicule. Surtout qu’en réalité, ça représente à peine 250 personnes puisque tu en gardes et que tu en files à des potes. Aujourd’hui, on ne fait plus de limité. On presse à 500 ou 1000 copies et on fait des repress s’il y a de la demande.” Une démarche honorant un garçon au cul coincé entre deux générations, celle issue des mixtapes historiques et l’autre, gavée à l’Internet. Car sans venir du blues, il vient de loin. Né quatre années après l’arrivée de François Mitterrand aux joysticks du pays, le jeune Quentin étanche sa soif de musique “spé” auprès de disquaires qui lui refilent des conseils avisés, et l’orientent peu à peu vers les recoins sombres de l’électro.  Avant, pour être cultivé, il fallait passer beaucoup de temps à l’extérieur de chez soi. Puis YouTube et Discogs sont arrivés. Maintenant, tu croises des gamins de 20 ans pointus sur une librairie musicale ultra-obscure des années 70. Incomplets à leur création, ces sites sont aujourd’hui des puits sans fonds. Je suis entre ces deux générations, et mon rapport à la musique traduit ça.” Traduction : Quentin pratique le digging domestique mais continue de fréquenter les disquaires.

« Mon ordi, c’est 20 000 dossiers compressés et 130 morceaux qui s’appellent Piste 1. »

Des disques d’or aux disques durs

Avec son background, monter un label semblait aussi inévitable que l’arrivée du plombier dans un bon porno des familles. Ce grand amateur de clubbing exerce en effet depuis une dizaine d’années sous le doux sobriquet de Zaltan une des seules activités manuelles respectées : le deejaying. À force de rêver d’une musique introuvable, la manipulation répétée des platines finit par lui donner envie de dénicher ces sons fantasmés. Et de les sortir, comme récemment avec la réédition du “Imaginary Choregraphy” de Paki & Visnadi, via Antinote. “C’est très spécial comme sensation mais je crois que pendant 20 ans j’ai cherché à écouter la musique que j’écoute enfin aujourd’hui.”

Quand on évoque d’éventuelles inspirations, Quentin s’attarde volontiers sur Versatile, le label électronique mené par Gillb’R. Un modèle à suivre. “Versatile, c’est de la pop, de l’ambiant, de la techno, de la house, etc. Ça me plait beaucoup, on veut s’inscrire là-dedans. Mais je ne m’en suis pas rendu compte immédiatement. Beaucoup de petits labels font de la house hyper centrée, genre réplique de 92 à 94. Eux n’en ont probablement rien à battre de ce que je fais, et je le leur rends bien.” Pour Antinote, il avoue n’avoir jamais eu un cahier des charges préétabli. Une volonté anarchique qui se retrouve jusque dans l’organisation du disque dur : “Certains artistes nomment à peine leurs morceaux. Mon ordi, c’est 20 000 dossiers compressés et 130 morceaux qui s’appellent Piste 1. J’écoute parfois de très bons titres mais je ne sais pas ce que c’est. C’est hyper frustrant. Nommez bien vos tracks, les mecs, tout le monde ne s’appelle pas Aphex Twin.”

Et Aphex Twin repassa par là

Tout le monde ne s’appelle pas Aphex Twin, mais certains le connaissent et sont même proches du génie anglais. C’est le cas de sa signature Gwen Jamois, alias Lueke, ancien clavier de Bernard Fèvre sur scène, figure historique de l’électro qu’on vous conseille de découvrir si ce n’est pas encore fait. “Gwen vit essentiellement de la vente de disques très rares, voire disparus. Au début des années 2000, il est tombé sur une boite d’archives de l’album culte “Black Devil Disco Club” de Fèvre. Avec ça, il s’est payé deux ou trois mois de loyer. En le contactant via le bottin, il s’est rendu compte que Bernard habitait juste à côté de chez lui. Ils ont rapidement ressorti quelques morceaux sur Rephlex, le label d’Aphex Twin.” Lueke tient donc une place à part au sein du label. Déjà parce que c’est en tombant sur quelques unes de ses vieilles prods 90’s jamais sorties que Quentin a décidé de monter Antinote et d’en faire sa toute première référence. Ensuite parce que Jamois a trouvé le nom du label, et présenté Check Morris à Quentin. Derrière ce nom qui rappellera aux grands cinéphiles un combat légendaire entre Bruce Lee et un Texas Ranger se cachent Nicolas Motte et Mathias Pol, deux talentueux graphistes responsables de toutes les pochettes du label. Mais aussi de l’affiche du dernier ovni de Roman Coppola, Dans la tête de Charles Swan III. Nobody’s perfect.

Discothèque de quartier

Une approche de l’international également visible dans les ventes, plus conséquentes en Angleterre qu’en France. Une vraie surprise pour des britons historiquement plutôt centrés sur leurs productions locales. Sans être un maniaque du contrôle, Vandewalle se méfie férocement de toute compromission, au risque de ne pas sortir d’une situation économiquement précaire. “Après 3 ans, je commence enfin à pouvoir payer mes artistes quand le disque fonctionne bien. Si je vends 1 000 copies, on se fait un petit cadeau derrière, mais pas un truc de ouf. Ni une voiture, ni un ordinateur.” Vous l’aurez compris, loin de représenter un nouvel ersatz d’Ed Banger ou une énième version (3.0 ?) de la french touch, Antinote respire le label de quartier. Une bande d’amis délivrant de la musique post-club de qualité plus plus. Avec un maxi de Gina et un nouvel album de Nico Motte à venir, Quentin n’est pas prêt de s’arrêter. Même avec la drogue “Ca fait partie du truc, comme dans le rock’n’roll, le funk, la soul. James Brown était pété à la schnouf tout le temps. Ca m’est arrivé de voir des jeunes prendre leur premier taz et ne pas le gérer, mais c’est assez rare. En général, ça reste propre.” Antinote ? Un label encore plus cool que le XIe arrondissement.

Compilation 5 ans Five Years of loving notes
http://antinote.bigcartel.com/

Photos : Sabrina Mariez

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