Don’t belive the hype ! D’habitude c’est ce que l’on fait avec un certain dédain. Pas par snobisme, mais uniquement par goût. La nouvelle sensation de mon coude, merci. Force est de reconnaître que cette fois-ci, on tend plus qu’un peu l’esgourde et on se lève d’un bond. Nom d’un cirque, qui est cette satanée fille qui, en guise de carte de visite, reprend parfaitement Jezebel d’Aznavour dans un clip posté désormais partout, Surrender d’Elvis, ou Sound & Vision de Bowie, le tout filmé dans son grenier ? Qui donc possède une voix et des morceaux si bouleversants qu’on est obligé de jouer au diplomate avec ses voisins de palier, nous sommant ici de passer au moins UN seul autre disque tandis qu’ils essaient en vain de trouver le sommeil ? Anna Calvi !

Inconnue au bataillon pour ce qui est du pedigree, Anna Calvi, encline à la modestie, s’est tue jusqu’alors. Nulle trace d’elle auparavant, si ce n’est sa prise en charge par Nick Cave (ben tiens) lors de la dernière tournée Grinderman. La Calvi a pourtant fait sa grande entrée hexagonale il y a quelques mois au festival des Inrocks, précisément à la Boule Noire de Paris le 4 novembre 2010, clouant au sol toutes les mâchoires plus vraiment habituées à un tel spectacle. C’est que la garce, loin d’être laide, se démarque sévèrement de toute la crasse actuelle. Au beau milieu de tous ces cous de girafes prompts à l’élongation, elle s’élève d’entre les bêlements ; ses chansons, imparables, sont interprétées avec la plus grande intensité qu’il soit désormais possible d’entendre dans ce registre, et son jeu de guitare est sidérant. Evidemment les médias, comme le public, s’y perdent en conjonctures. On l’affuble aisément de « Jeff Buckley au féminin », de « nouvelle PJ Harvey / Siouxsie née de la cuisse à David Lynch», ce qui est loin d’être faux mais trop étroit pour un pareil talent. C’est donc parti, tous veulent percer le mystère, tous les moyens sont bons, elle qui suscite déjà des jalousies communes à tous les grands de ce monde : « c’est fabriqué par les maisons de disques, ça ne tiendra pas deux saisons » ou « elle en fait des tonnes avec son show millimétré pour bobos nostalgiques, Jeff Buckley au moins, lui, il est mort », toutes ces finesses, déjà… Il est toujours amusant cependant de constater la mise au pilori directe – sotte manie dont la France s’est faite championne – d’une artiste n’ayant encore rien vendu premièrement, et deuxièmement venant de médiocres – Dieu sait qu’ils sont légion – qui aimeraient TELLEMENT se voir signés sur un quelconque label tout en vendant amis et famille au rabais.

La vérité est que tôt ou tard, tout le monde achètera son disque, l’écoutera et inondera le tapis parce qu’en dehors du fait que les ¾ des productions actuelles sentent le vieux frigo, on tient là un truc qui fend l’âme en mille, qui soulève le cœur en autant de billes d’émotion pure qu’un disque important peut en contenir, et ce DU DÉBUT JUSQU’A LA FIN.

La dernière fois que quelqu’un balaya devant toutes les portes de l’industrie discographique en ouvrant grand les fenêtres avec dans sa poche un monument gravé pour générations actuelles et futures, c’était l’Amy Wino via Back to Black et comme cette porcelaine, devenue sombrement hélas poubelle de table, Anna Calvi déboule avec un producteur, un vrai, et pas n’importe quel : Rob Ellis, batteur chez PJ Harvey et responsable d’arrangements/productions chez Mick Harvey (ce génie), Scott Walker ou encore Martina Topley Bird. C’est lui qui s’est coltiné tout le gros œuvre pour un résultat dépassant toutes espérances. Au Black Box Studios d’Angers, excellent studio au demeurant, il a su capter et retranscrire avec précision les pleins et déliés d’une musique qui le demandait justement, toute cette dynamique essentielle qui fait tant défaut aux autres. Sorcellerie ! Ça chuchote, ça tonne, c’est généreux comme pas possible, ça rougeoie sans jamais geindre, ça se pose et redécolle de plus belle pour finir en apothéose sur une des chansons les plus réussies jusqu’à présent Love won’t be leaving , machin qui nous ferait ranger illico les deux premiers Arcade Fire (le dernier étant nullissime) au placard des bons et loyaux services avec les décors de Cecil B DeMille. Sans pinailler, tout l’album est comme ça, joué à 3 personnes seulement ! (ce qui nous conforte dans l’idée que 3 est bel et bien le chiffre magique). Sa voix, adorable sur First we kiss, démente sur The Devil (fans d’Angra : raus ! on n’est pas chez Porcinet fait du dragon velu par dessus les trolls, merci), resterait à elle seule une bénédiction s’il n’y avait cette Telecaster renversante de trouvailles que la belle malaxe, pousse, étire et mandoline – chose que n’auraient pas renié Jeffrey Lee Pierce, Tom Verlaine période Warm and Cool ou Mark Hollis & Tim Friese-Greene des grands oubliés Talk Talk quand ils trituraient leur Spirit Of Eden il y a maintenant plus de 20 ans – montrant ici-même qu’elle est non seulement loin d’être manchotte, mais qu’une éducation musicale classique peut également servir pour qui a de l’estomac et une bonne digestion (on apprend ici et là qu’Anna Calvi aurait appris le violon à l’âge où l’on joue aux cubes, encouragé par un père musicien et mélomane, lui transmettant à cette occasion les virus post-romantiques que sont Ravel et Debussy – et Poulenc si ça se trouve. C’est toujours plus intéressant émotionnellement que La Petite Musique de Nuit ou les Gymnopédies pour étirements lombaires non ?). Suzanne and I nous rappelle que ni la Sioux, ni Liz Fraser n’ont sorti quoi que ce soit d’étonnant depuis des lustres, et Blackout serait un single possible qui caracolerait dans les charts, si les charts et radios n’étaient si…occupés.

Plaît aux anges, loin d’une musique cosy, jazzouillante entre deux pubs, il est un maelström orchestré par une femme dans lequel tout un chacun plongera tête baissée et ressortira grandi, voire guéri.

Et ce n’est que son premier album…

Anna Calvi // Anna Calvi // Domino (Pias)
Sortie nationale le 17 janvier 2011. En concert à Paris le 8 février au Nouveau Casino.


29 commentaires

  1. Oui, effectivement c’est très triste, cher Sittin’Pretty; mais que dire d’autre, finalement, et que faire, mis à part réécouter leurs disques?

  2. Hop hop hop, l’article parle d’Anna Calvi et les commentaires s’égarent… Je l’ai encore vu chez Taddeï hier soir sur France 3, et question: elle change quand ses fringues? Soit elle a plusieurs jeux, soit elle les lave tout le temps et ça va finir par se décolorer. Ou alors, elle pue.
    Mais normalement, ça pue pas les princesses.

  3. je l’ai aussi vu chez Taddei et j’ai décroché après l’intro a l’harmonium façon nico, le reste était quand même sans relief

  4. Alors ton billet donne très très très envie d’écouter cette jeune blonde prostituée à l’esthétisme musical mais je suis tout de même beaucoup plus touché par une personne comme Shannon Wright : la voix, le timbre, l’audace créative.

  5. Ah ? vous aussi vous êtes tombés dans le panneau ? Comme toute la presse, dirait-on. Je vous pensais moins naïfs (oui, c’est un compliment).

  6. Le prochain qui dit du mal de ma nouvelle meuf, je l’éclate.
    Déjà que j’avais du mal avec ceux qui critiquaient mon ex, Polly Jean…
    vous êtes tous des jaloux.

  7. Citer ses illustres aînées PJ Harvey, Siouxsie et Patti Smith pour parler d’elle, permet de planter le décor. Je suis aussi tombé sous le charme de Calvi. Le titre  »Suzanne & I » est diablement sexy.

  8. @ Philippe…pour l’avoir vue chez Katché, je n’ai pas senti ça vrai et authentique, mais très travaillé, le souffre a le souffle transparent…manque de l’âme comme en avait Jeff. L’art n’est pas une construction mais une nature…

  9. @ Recelbanx :
    Merci pour l’impression tempérée, a priori inverse à celle que produit la vidéo de Jezebel (captée sans public, elle)… à confirmer en live donc, sans écran interposé.
    Les 2 reports de concertandco en live sont pourtant assez dithyrambiques (alors que l’auteur n’est pas un « gentil », surtout avec les phénomènes hype).

  10. PS chez Manu Katche c’est a peu près les 2 moins bonnes chansons de l’album (blackout / desire) … drôle de choix, peut-être moins casse gueule, mais pas formidable en effet !

  11. Tiens, suis en train de l’écouter pour la première fois, là, comme un imbécile qui n’a rien d’autre à foutre de sa journée … Anna Calvi, c’est sympa, elle me séduit direct par je ne sais quoi puis vite je sombre dans le facile, le recraché digéré propre et très professionnel … Sa voix me fait penser à celle de Chrissie Hynde, complètement subjectivement. L’impression reste sans relief et je finis par me dire qu’effectivement … cet album est vraiment chiant. Comme 95% de ce qui sort en fait, aller même sur Gonzaï je me demande quel est le véritable % d’album vraiment tripant qu’on chronique à l’année, et même d’un point de vue purement subjectif, on se fait quand même bien chier sur la planète musicale non ?

  12. M’étais juré de ne pas rentrer dans les discutions pâteuses d’acnéiques célibataires ou fans de Mogwai, mais avouons : c’est amusant de lire vos proses, là comme ça, en pleine nuit.
    Me fait penser qu’aucune ganache n’a osé se pointer hier soir au Nouveau Casino, histoire de vérifier tous ces glorieux pensums sur notre amie commune (qui n’en demande pas tant d’ailleurs, voire s’en contrefout avec une aise qui n’a d’équivalent que la sinistrose affichée ci-dessus).
    Moi même, n’ayant que peu d’engouement pour les polémiques stériles, les commentaires et la démocratie en groupe de plus de deux personnes, je l’ai trouvé flambante, sûre de son coup (et quel !), parfaitement à l’aise devant un parterre français qui réclamait son lot de trilles (qu’il a enfin eu 2 minutes sur 45) ; convaincu enfin qu’elle n’était pas Jeff Buckley ni PJ Harvey et encore moins Patti Smith (et puis quoi encore ? Eva Joly ?) mais une NOUVELLE STAR impeccable, neuve.
    Non plus que j’attache grande importance à Domino, sa maison de disque, mais son nouveau PRODUIT fait trembler les murs, les chaines hi-fi dignes de ce nom, les amateurs, les jaloux et autres incrédules.
    C’est toujours bon signe.
    Quant à Shannon Wright, c’est aimable certes, mais hors sujet.
    Des disques il en sort à la pelle, des groupes à voir : suffit de crier dans la rue et il en déboule une centaine. Pour tout cela faut-il encore avoir le courage de sortir de devant son écran et les doigts de son fondement.
    Bâillements, à la ligne.
    Gute Nacht.
    (persiste et signe) Samuel Ramon.

  13. @Ramon : ***Me fait penser qu’aucune ganache n’a osé se pointer hier soir au Nouveau Casino, histoire de vérifier tous ces glorieux pensums sur notre amie commune ***

    C’est vrai qu’il n’y a pas mieux que le concert pour juger un artiste.

    Elle a donc loupé son disque, c’est dommage, elle en fera d’autres, plus convaincants peut-être.

    Te bile pas Ramon, elle a un article dithyrambique sur Gonzaï … c’est du luxe ! Déjà passer la barrière des disques qu’on chronique c’est un exploit alors que la chronique soit bonne en plus…

    Namaste and good luck

  14. Le son du disque est capricieux, il ne passe pas sur n’importe quel matos, d’absolument parfait sur une bonne chaîne à quasiment insupportable de reverb sur auto radio moyen.
    L’avant-dernier morceau me semble un peu plus faible que les autres.
    Mais de là à parler de disque raté… c’est plutôt tout le contraire!

  15. Son premier album est bon par rapport à la production rock post-moderne (soupir), il aurait pu être exceptionnel. Je m’abstiendrai des références trop datées et trop cliché, mais elle est tout de même passée à côté du gros truc. Je suis un (très) vieux loner qui a conservé une capacité d’émotion et d’enthousiasme pour les petits nouveaux talentueux et Miss Calvi fait indéniablement partie de cette catégorie rare. Malheureusement, il y a quelque chose d’un peu, comment dire, figé dans l’interprétation live de ses compos et la production du disque s’en ressent. Ici et là, elle donne dans le sur-chant comme une comédienne dans le sur-jeu. Mais je le répète, elle a tout pour faire partie du club très sélect des Grands Vivants du rock… Si l’époque et ses mœurs imbéciles lui laisse le temps.

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