Alt-J (triangle) c'est plus qu'un in-google-able symbole qui rend bien sur un tee shirt. Composé de quatre Anglais fraichement diplômés, le groupe sort le 28 mai son premier album « An Awesome Wave ». Les noms, ça n'a pas l'air d'être leur truc.

J’avais hâte de voir si leurs gueules et leurs dégaines correspondaient à l’image que renvoyait leur nom de groupe. Je dois dire que l’album m’avait, quant à lui, laissé dans l’embarras. Le genre de disques que l’on fout entre deux chaises. Tu te dis que c’est pas mal tout en sachant que c’est pas non plus terrible. Sans la perspective d’une interview, ça aurait directement atterri entre deux vide-ordures. Poubelle verte ou poubelle jaune ? Je sais jamais, putain.
Le rendez-vous a lieu dans le sous-sol d’un resto random avec deux mecs qui n’ont finalement rien de hispters made in UK et qui causent aisément cinoche, photographie de guerre, Radiohead, drogues et aphrodisiaques.

Commençons par votre nom. En équation mathématique, cela représente le changement. Etes-vous conscient que le triangle est utilisé par un grand nombre de hipsters tatoués et fringués sur mesure ?

Gus : C’est l’idée du changement qui est importante. Peu de personnes l’utilisent dans ce sens-là. (On nous apporte des bières.) Hum santé ! En ce qui concerne le triangle, c’est un peu de truc de hipsters, c’est vrai, malheureusement. Mais on n’est pas des hipsters.

Joe : J’ai remarqué que lorsque les gens tendent l’oreille, ils trouvent notre musique cool. On bosse dur sur cet aspect-là et beaucoup moins notre image, en fait. On n’est pas des faiseurs de mode ou je ne sais quoi. On ne fait pas attention à la dernière tendance.

Gus : T’as des chaussures avec des fleurs, quand même !

Joe : Ouais, tu marques un point. Mais je les ai eues gratos par Doc Martens, qui sponsorisait un de nos concerts.

Vous vous êtes tous rencontrés à l’Université de Leeds. Gus, tu étudiais la littérature anglaise, et Joe, tu étais aux beaux arts. Vous aviez un but ? Une idée de ce que vous vouliez faire de votre vie, si il n’y avait pas eu la musique ?

Joe : J’ai toujours voulu être dans un groupe. J’ai étudié l’art surtout pour rencontrer d’autres musiciens.

Gus : Je voulais faire du journalisme ou de la politique, mais dès que le groupe a commencé à bien fonctionner, j’ai abandonné ces idées. Et je suis ravi de l’avoir fait.

Joe : Je suis ravi que tu l’aies fait aussi.

Gus : Merci, mec.

Joe, j’ai lu que tu jouais tes premières chansons à Gwil (le bassiste) sous… influences. C’est vrai ?

Joe : En fait, une nuit, j’ai pris des champignons. Ça m’a vraiment attaqué sévère. Mais ça a changé ma façon de composer la musique ensuite. Je sais pas exactement ce qui s’est passé mais j’avais l’impression d’accomplir quelque chose à ce moment-là. Ça m’a libéré d’un poids. J’ai reconsidéré aussitôt ma manière d’écrire, qui était trop académique. Avant, lorsque j’écrivais des chansons, je n’étais jamais satisfait. Cette expérience m’a permis d’être en phase avec ce que je produisais.

Tu continues donc d’en prendre ?

Joe : Non, ce n’était qu’une fois. Je ne suis pas allé à l’université pendant un mois après ça, j’ai cru littéralement mourir de l’intérieur. C’était l’horreur, et plus je paniquais, plus mon état s’aggravait. C’ était à la fois la pire et la meilleure expérience de ma vie.

J’ai aussi lu que Tom (le batteur) refusait de jouer avec des cymbales parce qu’il n’avait pas les moyens de s’équiper d’une batterie complète. Il utilisait donc des casseroles, c’est vrai ?

Gus : Il n’utilise toujours pas de cymbales, mais il a remplacé les casseroles par des cloches. Le truc c’est qu’on n’avait pas d’argent, on répétait dans la chambre de Gwil et on empruntait les instruments à des potes. C’est pas si mal de commencer avec pas grand chose, d’ailleurs.

Une fois votre diplôme en poche, vous avez déménagé à Cambridge. Pourquoi ce choix, et pas Londres ?

Joe : C’était une décision de groupe. Cambridge était un compromis. C’est entre Leeds et Londres, et c’est une ville incroyable. Pour pratiquer notre musique et la bosser à temps plein, sans être distrait, c’était l’endroit parfait. On vivait tous dans le même appart, donc c’était, au niveau de la création, très productif.

Gus : On voulait s’éviter des ennuis. Rester concentrés sur notre musique uniquement et ne pas tomber dans une sorte de fièvre londonienne. C’était un risque lorsque les labels ont commencé à s intéresser à nous, mais on se sentait protégé ici. Un jour on est allés à Londres, et des mecs dans la rue nous disaient : « Les gars, tout le monde parle de vous, c’est génial ! » On était vachement surpris car, de notre bulle à Cambridge, on n’avait aucun écho. (…) Avec le recul, Je suis content d’avoir signé avec Infectious. On est un peu difficile, on aime prendre nos propres décisions et se lancer constamment des challenges. Les gens de notre label sont très ouverts là-dessus. Une major nous aurait imposé un mec pour faire un clip, des choix vestimentaires, etc.

L’une des choses que j’ai le plus apprécié dans cet album, ce sont tes paroles, Joe. Les sujets de tes chansons sont assez différents des autres groupes pop qui ne savent que parler d’amour, en boucle. T’en penses quoi ?

Joe : Chaque artiste écrit sur ce qui l’émeut le plus et, inévitablement, l’amour occupe une grande place. Mais lorsque tu réalises que tant de choses peuvent t’émouvoir, un chapitre d’un livre, une phrase dans un article, une photo, et pas juste ta copine qui vient de te larguer, tu peux écrire sur tout.

Justement, la chanson Fitzpleasure s’inspire d’un chapitre de « Last Exit to Brooklyn » de Hubert Selby Jr. Pourquoi ce chapitre particulièrement ?

Là encore, parce que c’est un passage qui m’a tellement marqué. Tu es dans une sorte d’état second en le lisant, un peu comme si t’avais la gueule de bois. Ça raconte l’histoire d’une prostituée qui en vient à faire des choses horribles pour de l’argent. À la fin, les choses finissent très mal pour elle, mais c’est à la fois émouvant et beau.

La chanson Matilda est cette fois-ci une référence au personnage de Nathalie Portman dans le film Leon de Luc Besson. C’est ton côté pédophile ou y’a une autre raison ?

Joe : C’est le film dans son intégralité qui m’a plu, et la relation entre Léon et Matilda. Son rôle a quelque chose d’emblématique, je trouve.

Il y a aussi quelque chose de sexuel entre les deux personnages.

Joe : Exactement. C’est la question que tout le monde se pose en regardant ce film. Quelle est la nature de leur relation ? Je voulais parler de ça, pas forcément donner une opinion, mais commenter la chose sans la nommer.

À propos de la chanson Taro, j’ai cru au début que c’était en rapport avec le jeu de cartes français que Monsieur Jodorowsky affectionne tant, vous connaissez ? (Ils acquiescent.) Puis j’ai compris que la chanson racontait en fait l’histoire de Robert Capa et de Gerda Taro, deux photographes de guerre et amants. Ça ferait une putain d’histoire pour une adaptation cinématographique, non ?

Gus : C’est une histoire folle, hein. Ce que j aime avec les paroles de Joe, c’est qu’elles sont encrées dans une réalité historique. Parfois, tu peux travailler avec des images d’où résultent des paroles plus figuratives. Mais cette chanson n’est pas à propos de sentiments ou de pensées abstraites, c’est l’événement de ces deux personnes intimes mourant dans des conditions similaires. Mais Joe ne se contente pas de simplement rapporter les faits, ce qui est habile de sa part.

Là encore, il est question d’amour, mais tu évites la facilité en ne parlant pas simplement de toi et de ta copine. C’est ça qui est intéressant.

Joe : Oui. C’est tellement marrant d’écrire sur quelque chose qui s’est déjà passée. Parce que les gens peuvent aimer la musique en général, mais le petit plus c’est de creuser et rechercher le sens des paroles. Ça les amène à un second niveau de lecture. C’est ce qui, je crois, rend une chanson captivante. Le refrain fait « Do not spray into eyes, I have spread you into my eyes ». Mon père a écouté les paroles et m’a dit que c’était une bonne métaphore du métier de photographe de guerre. Tu ne veux parfois pas prendre la photo mais tu sens que tu le dois le faire, pour que les gens sachent ce qu’il se passe, même s’ils voient ça tranquillement de leur confortable canapé.

Être comparé à Radiohead, c’est un compliment ou pas ?

Joe : Ce sont, à mes yeux, les parrains du succès avec de l’intégrité. C’est incroyable avec quelle facilité ils changent constamment de sons sur chaque album, tout en produisant toujours une musique de qualité. Ça m’impressionne. En cela, on aimerait leur ressembler. Mais il est trop tôt pour le dire, on n’a fait qu’un album. Radiohead en a fait une dizaine en vingt ans. Donc ressembler à Radiohead, OK, cool, merci, mais quel album ? Ça n’a pas vraiment de sens. (…) De l’autre coté, parfois j’entends une musique superbe à la télé, dans une pub, et je me dis : « C’est qui ce groupe génial ? » Puis je découvre que c’est encore une chanson Radiohead que je ne connaissais pas. Ces mecs me surprendront toujours, je crois.

Comment vous le trouvez le public français ?

Joe : Ils sont moins bruyants que les Anglais. Les Anglais applaudissent plus fort, mais ils parlent aussi pendant les chansons. Les Français, eux, nous écoutent vraiment, mais montrent moins d’enthousiasme. Je préfère donc la foule française. Puis c’est un sentiment vraiment agréable qu’une population qui n’est pas la vôtre comprenne votre musique. C’est un puissant aphrodisiaque.(rires) Hum… Non, enfin, un sentiment puissant. Pas aphrodisiaque (rires).

Non, va pour l’aphrodisiaque, ça fait une bonne chute. Merci bien.

ALT-J //An Awesome Wave // Infectious Records (PIAS)
http://altjband.com/

An Awesome Wave by alt-J

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