Fin des années 90, être un dandy avait de l’allure, on mirait les milords se pavaner le foulard autour du cou et on enviait ces précieux qui marchaient de travers comme les zazous des années 40. Quinze ans plus tard, les esthètes ont pris un coup sur la tête et une génération entière d’imposteurs du beau (Beigbeider, Ariel Wizman, Julien Doré) a tellement tiré sur la corde de l’élégance factice que la simple évocation du mot donne envie de verser dans la lapidation brutale, un peu comme dans « La vie de Brian » avec des magazines sur papier glacé à la place des cailloux. Parisien raffiné, Alexandre Chatelard remonte la rivière à contre-courant : plutôt que de faire parler de lui, il fait chanter les femmes. Et façonne, depuis quatre ans déjà, son premier disque d’illuminé.

A en croire les relevés SACEM des cinq dernières années, vous n’êtes pas nombreux à connaître le travail d’orfèvre d’Alexandre Chatelard. Cette fois, on ne va pas vous jeter la pierre, ses deux premiers EP’s, en dépit de leur raffinement digne des dorures de Versailles, n’ont pas dépassé les portes du périphérique et encore moins celles des rédactions, trop affairées à jouer au ping pong en salle de pause en attendant le retour des Daft Punk. Bref, il s’est passé du temps depuis la sortie de « Les Yeux Verts » en 2009, mélange du Pull Marine d’Adjani et des Paradis Perdus de Christophe. Entre temps, le musicien signé chez Ekler’O’Shock n’a pas fait que tricoter des chandails pour les vieux jours, il a également sorti un deuxième EP toujours aussi fulgurant (« L’homme et la femme », 2010) puis un troisième plus bancal (« Les marguerites », 2012) et repris un titre de Jacno sur un très (très) mauvais tribute. Avant ça, disions-nous, Jacno est mort. Et Chatelard s’est mis à la colle avec sa fille, Calypso. J’ai oublié de préciser que la reprise présente sur « Jacno Future » n’est autre qu’Oublier, ce qui, au vu de l’histoire qui suit, s’avère plutôt difficile.

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Chatelard fait sa reconstitution

Comme le musicien n’a jamais froid aux yeux coté rimes (souvenons-nous de son « Tu m’as rendu minotaure / Je deviens Matador » sur Reconstitution…), les jeux de mots pleuvent sur son nom. Chatelard et la manière, Chatelard ou du cochon ; l’art surtout de se cacher derrière un nom pour se faire oublier, à tel point que son nouveau projet nommé Cinema, avec ladite Calypso au chant, éclipserait presque le talent du monsieur. Comme on n’est pas là pour convaincre les sceptiques à qui la voix monotone d’Alexandre donne des allergies et ses accords érotiques des flatulences, partons du principe qu’on est ici entre gens de bonne compagnie et que vous n’espérez pas une voix de stentor avec trois maigrelets accords de guitare joués comme à la cafet’ d’Hélène et les garçons.
Avant d’en arriver à la sortie du premier EP synthético-rococo de Cinema, il faudrait voir à rembobiner le film du début pour mieux comprendre la fin. Milieu des années 2000, Chatelard traine ses Repetto à l’école des Ateliers à Bastille, une école de design où il rencontre l’artiste Damien, farfelu musicien auteur d’un incroyable disque bricolé nommé « L’art du disque », publié en 2007 chez Record Makers. « On a bidouillé des choses ensemble au début des années 2000, dans le local de l’école » explique Chatelard au café, « petit à petit, on a peaufiné notre base stylistique avec le matos à disposition ». Comme beaucoup de gens qui font des écoles d’Art, Chatelard prolonge alors l’adolescence avec des études qui, il faut bien le dire, n’en sont pas vraiment. Fils de bonne famille et dans la digne descendance des musiciens french touch débarquant fin des années 90 de Versailles comme d’autres bad boys de Bobigny un soir d’émeute, Chatelard se cherche un futur en faisant des croquis de chaise. Déjà, l’esthétisme est au cœur des réflexions du bonhomme, ses dogmes musicaux tiennent d’abord à une maitrise quasi dictatoriale de son œuvre : rien ne lui échappe, rien n’est délégué. « Et puis je ne suis pas juste un songwriter, j’aime bien la partie producteur ». Premier indice. A la façon d’un peintre, Chatelard passe les années qui suivent à empiler les couches sonores comme des legos et façonne son mille-feuilles mélodique pour tuer une part de son adolescence: « Mes premiers EP’s, ce sont des œuvres de jeunesse. A chaque fois j’élimine une pulsion, sur ‘Reconstitution’ c’était une pulsion sombre, sur ‘Les Yeux Verts’ il y avait à la fois la mélancolie, un truc un peu fleur bleu qu’on a qualifié d’érotique alors que pour moi ça décrivait la solitude dans la ville, la misère affective des néons ». Trentenaire malgré lui, Alexandre est de son propre aveu issu d’une génération qui a beaucoup regardé la télévision et pour qui, du coup, les dessins animés japonais ont beaucoup compté : « J’ai aimé le lyrisme des ‘Chevaliers du Zodiaque’, tout son romantisme de pacotille,. En fait j’aime les grands sentiments purs, avec des mélodies épiques ». C’est à la fois mélancolique, proustien, glorieux et un peu désuet. Pas très bavard et un peu trop modeste pour faire rêver en masse, le garçon lâche sans s’en rendre compte une phrase définitive qui permet de clôturer le synopsis de sa propre histoire: « La musique c’est pas grave, c’est pas important, par contre c’est essentiel ».

Chatelard fait son cinéma

imageAlors que son premier long format semble enfin prévu pour la fin d’année, Chatelard s’amuse entre deux peaufinages de studio à produire d’autres chanteuses, dont la plus intrigante reste à ce jour Calypso, pour l’heure plus connue pour sa filiation à papa que pour ses talents artistiques. Conçu comme une partie de plaisir, et sans label au cul, Cinema est décrit par le fascicule promotionnel comme une rencontre entre Giorgio Moroder et François de Roubaix. Avec un peu de Jacno à l’intérieur, aussi. Et pas qu’un peu, forcément. On y entend la voix de Calypso maquillée par son producteur Chatelard, et ça turbine sec sur le premier single UV, surboosté au kérosène pop avec un refrain sexuel et démoniaque. On pourrait d’ailleurs s’arrêter là, le crime est déjà presque parfait.
Sauf que la rencontre entre Chatelard et les Jacno, physique et spirituelle, a justement tout d’un film. Hautement influencé par l’auteur du divin Rectangle, Alexandre vit et joue aujourd’hui avec sa fille. N’y aurait-il pas là une putain de déviance freudienne, genre hyper chelou, voire un peu malsain? Pas pour le principal intéressé. « C’est difficile de nier ses influences. En fait j’ai connu Jacno avant sa fille, parce qu’il se trouve qu’à l’adolescence [on est en 2005] je passais mes vacances dans une maison de campagne, et juste en face il y avait celle de Jacno. Depuis la fenêtre de ma maison, je le voyais dans son jardin, à boire du vin, à la cool dans sa chaise longue. J’ai jamais osé l’aborder, c’était un hasard incroyable mais pour moi ça incarnait quelque chose, j’avais déjà l’album ‘Rectangle’… Et puis finalement, pendant une fête du village une soirée du 15 aout, j’ai engagé la discussion, on s’est bien entendu et on a gardé un contact régulier ». Drôle d’histoire, drôle de vie dirait Christophe. A l’époque de cette rencontre avec le disciple, Jacno est sans même le savoir en fin de carrière. Son disque « Tant de temps », en dépit de chansons taillées dans les pavés de la rue Saint Denis, est un flop. A l’époque, Chatelard boit chacune des paroles du maitre. « Et comme j’avais rien à dire, j’écoutais ses incroyables anecdotes ». A la fois loin et près de son mentor, Chatelard regrette que la maladie l’ait empêché de travailler avec Denis Quilliard. Et quand en 2009 Jacno finit par tomber à l’eau, Chatelard lance enfin son radeau, la même année. Coïncidence, sans doute. Comment arrive-t-il à vivre avec l’ombre du père fantasmé ? Eh ben comme il peut. « Faut évacuer les pulsions, y’a plein de clin d’oeil sur le disque de Cinéma, et puis je préfère être comparé à Jacno qu’à, euh, Calogero ». C’est pas que je veuille placer à tout prix tous les morceaux du Saint Père, mais l’histoire d’Alexandre et Calypso ressemble à s’y méprendre à celle d’autres amoureux solitaires.

Chatelard se pavane

Le rapport aux chanteuses est important chez Chatelard. Là où d’autres les mettent dans leur lit, lui préfère leur construire des peignoirs en soie. Son rayon, ce sont les filles ne passant pas leur temps à composer des chansons pour les serviettes hygiéniques. En marge de son aventure conjugale avec Cinema, voire en marge de sa propre carrière, on découvre que le producteur artisanal travaille actuellement avec Alice Lewis sur un disque à paraître en 2014, où l’on entendra la Française surdouée s’essayer à la chanson en, euh, Français. « Mon envie c’est d’utiliser une matière brute, vivante, vibrante !, avec quelqu’un d’extérieur pour canaliser cette énergie. Plein de grands disques se sont fait comme ça ». Des noms, des références ? Étonnamment, pas tant que ça. Gainsbourg avec ses interprètes, Phil Spector… Il se coupe: « on en reparlera dans quelques années mais pour l’instant je ne me sens pas producteur ». Ca ne l’empêche pas de faire plein de choses en même temps, des trucs avec Maxence Cyrin (« plutôt dans une approche de consulting ») ou avec Benjamin Schoos (« J’ai écrit la moitié des paroles de son prochain disque »). Diable, ce garçon marcherait-il à la Wonder ?
Dans tous ses projets annexes – tellement d’annexes qu’on finit par se demander où est le centre – c’est toujours la nostalgie qui finit par prendre le dessus. En écoutant le dernier né de ses groupes protéiformes, Triomphe, il y a matière à psychanalyse tant la musique française et les génériques ORTF de la fin des années 70 semblent l’avoir marqué au fer rouge. Episodique, Triomphe c’est un EP qui sort aussi chez Ekler’O’Shock, et où l’on entend Alexandre composer des chansons avec Charles-Baptiste, tous deux tellement traumatisés par Les Paradis Perdus qu’on se demande s’ils sauront un jour les retrouver. Ombre de Christophe par ci, fantôme de Jacno par là, Triomphe s’est écrit en une semaine de studio et s’écoute – je cite – « comme de la variété instrumentale qui réconcilierait ‘La soupe aux choux’ et Giorgio Moroder ». Episodique, disions nous. Si Chatelard s’avère trop tendre pour prétendre au trône de Gainsbourg, il n’en reste pas moins un méticuleux esthète qui rêve encore de faire passer l’enluminure dans un énorme tuyau de mégabits. : « J’aime le raffinement, le soin apporté aux mélodies. C’est parfois dans le détail, dans la petite arabesque, qu’il se passe quelque chose. Du coup à chaque fois qu’on me demande des radio édit, je trouve ça hyper grossier ». Vivement qu’on en finisse avec le bon goût universel et les looks bon chic bon gen(dre) à chaque coin de rue, que les vrais dandys retrouvent enfin la place qui est la leur.

Cinema // Premier EP paru le 2 avril
Triomphe // Premier EP chez Ekler’O’Shock le 16 avril

http://www.cinemaofficiel.com

5 commentaires

  1. « digne des dorures de Versailles », tu as pas fini de raconter des conneries non… on peut arrêter de faire de la branlette???

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