Message à tous les Kurt, Jim, Brian ou Amy de la planète : on peut fêter ses 27 ans et malgré tout continuer à regarder l’avenir autrement que dans une flaque de vomi. C’est, en peu de mots, le message du festival de La Route du Rock qui revient cette année avec une affiche mortelle (sic). L’occasion de faire le point avec les programmateurs sur cette « chère indépendance » qui a déjà failli leur coûter la vie.

VISUEL_RDRE2017_1000X1000_RVBCa fait partie des traditions : les marins n’ont pas la langue de bois. Ce qui tombe bien, puisque François Floret (co-fondateur et co-programmateur) et son compère Alban Coutoux (co-programmateur et responsable de la communication) portent le jour de notre rencontre des pulls rayés. A priori, aucun lien. Mais en fait, si. Les deux Bretons pur souche à la barre de la Route du Rock depuis plus de vingt ans (Alban est arrivé en 1996) ne semblent pas avoir fait le tour de leur délire de sale gosse, et c’est ainsi que chaque année des milliers de festivaliers se pressent pour niquer leurs baskets dans la boue, au mois d’août, à Saint Malo. Ca n’a l’air de rien, mais réussir à durer depuis vingt-sept ans et convaincre les invités de bousiller leurs fringues dans la joie pour écouter leurs groupes préférés, ça n’est pas donné à tout le monde.

Ainsi donc va La Route du Rock, oscillant entre gros cartons et petites gamelles, comme en 2016 où le festival a perdu près de 100.000 € ; la faute à une programmation où les têtes d’affiche (Belle and Sebastian, Savages, Tindersticks) n’étaient parfois pas assez séduisantes, et parfois trop vieilles. Conséquence de quoi, et en bons mauvais perdants, les deux ont sorti la grande voile pour l’édition 2017 : PJ Harvey, Mac DeMarco, The Jesus and Mary Chain, Ty Segall, The Oh Sees… si vous cherchiez des raisons de souiller vos Converse neuves, plus besoin de chercher un festival sous perfusion de subventions publiques avec un graphiste mou du genou pour voisin d’acouphènes.

Comme la Route du Rock nouvelle cuvée est bien partie pour annoncer sold out, et que les nouvelles têtes (Idles, Froth, Calypso Valois, etc) feront du bien aux gens qui vivent en 2017, il était donc bien tentant d’aller demander aux deux marins d’eau dure leur avis sur l’économie des festivals et le conservatisme supposé des fans de rock, qui vieillissent eux aussi. Sans langue de bois donc.

Crédit : Newslighters.fr

Comment arrive-t-on, après 27 ans d’existence, à raconter une histoire différente à chaque édition?

Alban : Non… Un festival c’est avant tout de la gestion de problèmes ; c’est pas simplement faire une playlist radio où tu mettrais tes vingt-cinq coups de cœur de l’année.

Mais du point de vue médiatique, n’est-ce pas toujours un peu donner les mêmes réponses aux mêmes questions ?

François : Les groupes sont jamais les mêmes, déjà, ah ! ah !

Alban: Après ca dépend du talent du journaliste. Forcément si tu me demandes : « Alors vendredi soir, vous faites jouer PJ Harvey ? »… ça va être dur de sortir un propos original. Un entretien, c’est toujours comme une partie de tennis, faut de bons échanges…

François : Mais fondamentalement tu as raison, et c’est pour nous un vrai challenge de pas raconter la même chose à chaque journaliste. Les interviews, c’est surtout une piqûre de rappel pour ceux qui ne connaitraient pas la Route du Rock.

Ca existe encore ?

François : Hélas oui. Regarde l’édition de l’année dernière : y’a plein de gens qui ont oublié qu’on existait, ah ! ah ! On s’est pris une belle veste…

Alban : 13.000 spectateurs…

François : Disons qu’on continue de colporter ce message qui veut que la Route du Rock soit un festival indépendant, et c’est pas un vain mot. Personne ne peut aujourd’hui nous dire ce qu’on a à faire. La programmation, la déco, même les choix de police pour l’affiche : c’est nous et personne d’autre.

L’avantage à ne pas être une grosse structure, c’est qu’on peut se relever plus rapidement.

Et donc : puisque la Route du Rock c’est un peu tous les ans le même film, mais avec des acteurs différents, l’édition 2016 aurait pu s’appeler Une belle veste. Est-ce cette tôle commerciale qui vous a regonflé pour le lineup 2017, plutôt très musclé en comparaison ?

François : Oui et non. Disons que cette année on a simplement décidé de taper plus fort. On s’était déjà pris une grosse veste en 2012, l’année de The XX, puis on s’était relevé l’année d’après avec Nick Cave. 2003 aussi était une sale année, bref c’est cyclique. L’avantage à ne pas être une grosse structure, c’est qu’on peut se relever plus rapidement ; adapter le site, réduire les coûts, etc. 2016 c’était pas non plus un gouffre financier.

Une veste sans manches, quoi.

François : On a perdu un peu plus de 100.000 €. Certes, c’est beaucoup. Mais moi je considère qu’on a toute notre place sur l’échiquier des festivals, sans considération de taille d’ailleurs. Récemment j’ai d’ailleurs été vexé qu’on reçoive un « Prix du plus beau des petits festivals » par le Festival Awards, un truc créé par Weezevent. Ils voulaient qu’on vienne récupérer le prix, on les a envoyés se faire foutre !

Alban : La qualité d’un événement ne se définit pas par rapport à sa jauge de fréquentation, c’est stupide.

François : Si on avait voulu concourir dans des classements, on aurait fait du sport.

© Mathieu Foucher
© Mathieu Foucher

Lors de notre dernière discussion voilà trois ans, tu m’avais confié que vous ne fonctionniez que très peu sur les subventions publiques. A votre échelle, ça représente beaucoup, 100.000 € de pertes ?

François : On fait ce qu’on appelle de « la cavalerie », on paye les factures de 2016 avec une partie des rentrées d’argent de 2017 ; c’est pas très bien, mais tant qu’il y a six mois de battement, ça se gère. Et ça fait 27 ans qu’on fonctionne comme ça.

Puisqu’on parle de la longévité du festival : en tant qu’organisateur, à quel moment avez-vous arrêté de vous taper des nuits blanches en regardant les mauvais pointages ?

Alban : Le stress te quitte jamais, surtout qu’en 27 ans, le festival a grossi.

François : Ca fait plusieurs années que je fais les pointages tous les soirs, ça te permet de comparer avec les éditions similaires, en termes de pré-ventes. En l’occurrence cette année, on est assez proche de l’édition 2015, en termes de cohérence. On devrait donc avoisiner les 26.000 personnes cette année, si tout se passe bien.

Tout à l’heure vous mentionniez les spectateurs qui avaient « oublié » la Route du Rock en 2016. Dans quelle mesure arrivez-vous à rester positifs, c’est-à-dire pas amers, vis-à-vis du public qui peut bouder telle ou telle programmation ?

François : Le public, il vieillit forcément. On ne le connaît pas vraiment, le noyau dur ; enfin si, c’est celui de l’année dernière, donc entre 10.000 et 12.000 personnes. Mais on n’est jamais amers. Personnellement, je n’ai jamais eu de doutes sur le fait que la « marque » Route du Rock était insuffisante pour remplir.

Alban : Il y a de la déception aussi. Quand tu rates le coche, tu te demandes si tu es encore en phase avec l’époque, si tu as raté quelque chose, ça permet de se questionner. Pour nous, c’est essentiel de continuer à voir des gamins de 20 ans slammer pendant un live de Fidlar ou des Black Lips. T’as pas envie de devenir un festival figé comme cela s’est passé avec le jazz il y a vingt ans. Le problème de l’âge, c’est très présent dans le rock, mais on n’ira jamais parler d’un « vieux » réalisateur de films.

Lutter contre la nostalgie, c’est un combat.

On en arrive donc, sans transition, à la programmation 2017. Comment arrivez-vous à concilier le côté conservateur du fan de rock qui prend sa place pour Jesus and Mary Chains, et ceux qui ont envie de voir des groupes de leur âge ?

Alban : Lutter contre la nostalgie, c’est un combat. L’objectif, c’est justement d’amener le fan de Jesus and Mary Chains à repartir avec un disque de Froth ou Idles sous le bras. Plutôt que de nostalgie, je préfère qu’on parle de filiation…

C’est tentant d’impliquer le public dans vos choix de programmation, ou rien à foutre ?

François : No offense, mais rien à foutre. On fait la programmation qui nous ressemble, et les deux débats sont entre Alban et moi. Quant à ceux qui nous félicitent pour les groupes qu’on a découverts, comme par exemple Radiohead programmé en 1993 [à Rennes et non à la Route du Rock, NdlR], on répond toujours qu’on se rappelle davantage des artistes qui ont explosé que des bouses. A partir du moment où tu prends plus de risques que d’autres, tu as toujours plus de chances de faire de belles découvertes.

On en arrive au cas Kaitlyn Aurelia Smith. Comment avez-vous eu la – bonne – idée de la programmer cette année ?

Alban : Je l’avais déjà vue au Pitchfork Avant-Garde cette année, et son live était hyper organique, notamment grâce à son synthé Buchla. Extrêmement visuel, avec une voix incroyable. Impossible de passer à côté, le booking s’est réglé en deux mails ; mais comme elle jouera sur la plage, il a fallu régler le problème des grains de sable sur son clavier aha !

Le booking le plus difficile à confirmer cette année ?

Alban : Future Islands peut-être.

François : Et PJ Harvey ! La confirmation a tardé, même si elle est déjà venue au Fort.

C’est elle la locomotive cette année, non ?

Alban : Oui clairement, et sa musique reste vraiment inventive pour le coup.

Au rayon découvertes, on se souvient que c’est chez vous que Fat White Family a carrément explosé. Sur qui miseriez-vous cette année ?

Les deux ensemble : Idles !

Alban : Un projet de Bristol, le disque sort à la rentrée en France, avec une qualité d’écriture incroyable. Sacrée claque. Ils joueront juste avant Thee Oh Sees.

François : Et un côté The Fall… de bons branleurs anglais.

Puisqu’on est parti sur une interview très B to B, qu’en est-il, de votre point de vue, des « festivals de producteurs », montés par des structures de booking qui souvent placent leurs propres poulains ? Cette consanguinité à la limite du conflit d’intérêt est-elle toujours d’actualité ?

François : Plus que jamais, oui.

Alban : Nous à l’inverse, on a monté une structure de booking [la Route du Rock booking, NdlR] parce qu’on programmait souvent des groupes qui n’avaient pas d’agence, et après partaient signer ailleurs.

François : Et l’idée est venue justement quand les producteurs ont commencé à monter leurs propres festivals, vers 2003, qu’on en a eu marre de prendre tous les risques pour rien, en échange.

Alban : Et pour te répondre, il y a actuellement une tendance à la concentration dans le secteur musical, et qui fait que les festivals de producteurs ne vont, à mon avis, pas s’arrêter demain.

Vous à l’inverse, vous avez toujours refusé de grossir pour grandir, si je résume.

Alban : On n’a jamais voulu grossir, non. La question ne s’est jamais posée.

François : Et la capacité du site, environ 12.000 personnes, fait qu’on est de toute manière limité pour l’expansion. Mais si demain on nous propose un site magnifique et plus grand, on pourrait réfléchir très sérieusement à un déménagement…

Route du rock 2008 photo Pauline Auzou
Route du rock 2008
photo Pauline Auzou

Il existe, ce lieu ?

François : Bah non ! Pas pour l’instant du moins. On tient à ce que les gens puissent voir tous les concerts d’affilée, et que des groupes ne jouent pas en même temps ; c’est un principe. De ce point de vue, le Hellfest pardon, mais c’est un peu la foire – même si le site est hallucinant, que la programmation reste dingue, etc., etc.

Vous avez prévu un truc spécial pour les 30 ans du festival ?

François : On se pince surtout d’être encore là au bout de 27 ans, et de vivre de notre passion.

Alban : Pas sûr qu’on ait encore envie d’être là dans dix ans…

Pour finir, la jeune concurrence bretonne justement, que ce soit avec le festival Vision ou même Binic, vous voyez ça d’un bon œil ?

François : Moins Vision que Binic, parce que le rock garage, c’est un peu notre came aussi. Et c’est pour ça qu’on en a remis une couche cette année d’ailleurs. Total respect pour ces mecs en tout cas qui, sans calcul, parviennent à monter des événements comme ça.

La Route du Rock, du 17 au 20 août. 
http://www.laroutedurock.com/

A voir aussi : une exposition de GODLIS, photographe américain témoin de l’explosion du punk américain à la fin des années 70, au légendaire CBGB.

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