Pas vu en France depuis 2006, Sufjan Stevens n’a laissé personne indifférent sur les planches de l’Olympia. D’un côté, un public conquis par son show space opéra (« Meilleur concert de ma vie ! »), par plus de deux heures trente d’un live schizophrène entre douceur folk et électro psychopathe. De l’autre, moi qui n’aime guère les paillettes dans les yeux et la dérive artistique d’un talent sans doute trop idéalisé. Faut-il se droguer pour réussir ? Sans doute. Être déprimé ? Certainement pas.

Description en cinq points du pétage de plombs made in Michigan de l’enfant de chœur Stevens.

1. Son dernier album, The Age of ADZ, est raté

Ses aspirations à la complexité, comme souligné à propos de son concert, n’amènent rien de bon. A l’instar d’un timide qui se lâche, c’est de la gêne qui ressort de sa pseudo expérimentation musicale à la sauce capricieuse ; de l’électro cheap même pas racoleuse et à peine écoutable si l’on excepte le titre d’entrée, Seven Swans. Les longues plages électriques s’éternisent dans un silence rempli de malaise, je ne comprends rien à ce marasme incohérent aux sonorités passées. En plus d’être chiant, Sufjan Stevens taquine le pathétique.

2. Sa voix est bafouée

Elle est d’une beauté spirituelle, la torturer est un blasphème. Peut-être saoulé par les compliments incestueux faits à son bel organe, Sufjan ose utiliser un voice changer à peine réglé version Kanye West pour fouler sa plus grande qualité, sa fragilité naturelle. Exemple frappant après trente minutes de torture musicale (Impossible Soul en vingt parties), il décide de reprendre ce même titre en acoustique guitare/voix : tout semble écrit comme une évidence. Pourquoi se cacher derrière l’électrique, surfer sur une mode déjà dépassée alors que sa force à contre-courant s’est toujours imposée ?

3. Son show n’est pas drôle

Pourquoi faire compliqué quand toute beauté réside dans la simplicité ? Sufjan Stevens se lance dans la pop festive. Un terme bâtard qui renvoie irrémédiablement à de bien sombres souvenirs existentiels : I’m from Barcelona et Of Montreal, adeptes de la mousse à raser et des ballons colorés. Quand il s’habille d’une tunique dorée de cosmonaute lunaire, je crois assister à la lose congénitale des Flight of the Conchords. Quand il s’enroule de serpentins, un chapeau en alu sur la caboche, maladroit comme un faux bourré, c’est non pas de la pitié que j’éprouve mais bien de la tristesse. A quoi joue-t-il ? Moi j’ai une idée : il joue à l’enfant gâté qui décide de tout envoyer bourlinguer, égoïste et individualiste. Les moments de pitié perlent, ces longs instants où les yeux fixent un sol désespérément noir. « C’est du second degré. »  Peut-être mais ce n’est pas drôle. Et de se croire drôle comme il le pense est encore pire. Allez, petit bémol de ce témoignage à charge, ses anecdotes et histoires passionnantes avec son idole Royal Robertson, un artiste clochard pro-UFO.

4. Sa folk met tout le monde d’accord (son rappel)

Les costumes d’ange mortel retirés, désormais à nu, muni d’un simple tee-shirt « Say yes to Michigan !», Sufjan Stevens s’installe derrière son piano. Le silence est baigné d’une électricité sidérante, devant un public sujet aux palpitations, il entonne sobrement le magique Concerning The UFO Sighting Near Highland, Illinois. Tout s’éclaire, les poils se dressent et enfin, le bonheur immense de retrouver la beauté abyssale du plus grand songwriter folk de sa génération. Il est seul au monde, chaque mot résonne contre un cœur gorgé d’admiration, le moment est unique. Et, presque gêné de retomber dans les classiques, Chicago conclue idéalement un rappel mea culpa. Tandis que les ballons s’envolent, les regrets, eux, restent bien ancrés. Sa voix et sa prestance arrivent seules à laisser bouche bée un Olympia sidéré, et cette fois-ci pour de bonnes raisons. Le constat est rapidement fait : il n’avait pas besoin de ramener ses onze musiciens et sa batterie d’effets vidéo. Sa seule présence, lui et sa guitare acoustique, suffisent amplement au bonheur le plus sincère.

5. Et si je me trompais sur toute la ligne ?

Peut-être est-ce là le meilleur concert de ces dernières années, peut-être est-ce un génie incompris – du moins pour moi, la performance d’un cinglé autodestructeur. Peut-être sait-il pertinemment que cette électro est une aberration et un délire obsessionnel d’enfant chéri. Et peut-être que son dernier album est une gigantesque private joke à lui-même tentant désespérément de faire ce qu’il se sait incapable de réaliser. Alors si un jour Sufjan vient s’expliquer avec moi autour d’un lait-fraise, qu’il m’avoue secrètement avoir joui de son statut pour mieux le mettre à mal, peut-être lui pardonnerai-je. Dans tous les cas, longtemps je me souviendrai de ces, parfois trop longues, parfois trop courtes, deux heures et demie. Le culte ne laisse jamais indifférent, baigné entre haine féroce et amour passionnel. Et je ne crois pas me mouiller en assurant que Sufjan Stevens à l’Olympia en 2011 est, ou sera, culte.

Crédits photo: http://getwastedphotography.blogspot.com/

7 commentaires

  1. Sans être allée au concert (sans aucun regrets)je ne peux qu’être d’accord avec toi sur la review de l’Olympia, en ayant vu quelques Youteberies (même pas en HD)
    Et si on arrêtait de dire que ce mec est un génie (parce qu’il y a Andrew Bird dans ces cas-là aussi) et qu’on disait juste que son dernier album est à chier (à part I walked) et que son concert était nul? (des ballons sur Chicago quoi, Azoulay produisait le spectacle?)
    Bref. Si on enlevait le 5. de ton papier, il serait bien aussi.

  2. La comparaison avec Of Montreal et I’m From Barcelona me fait réagir ainsi :
    Suffjan Stevens et Of Montreal sont de grands artistes, contraints de faire n’importe quoi sur scène pour ne plus se faire voler la vedette par des pitres comme I’m From Barcelona dans les festivals.

  3. Je ne pense pas qu’un artiste ait besoin de ‘faire n’importe quoi sur scène’ pour tirer son épingle du je(u).
    Preuve en est, concert et ressenti de l’auteur parmi d’autres à l’appui, que ça donne l’effet inverse.
    Comparaison n’est pas raison, mais sur ce coup là Sufjan a eu un peu tort on dirait.

  4. J’ai dû mal m’exprimer car je suis d’accord avec l’article. Ce que j’en dis, c’est : la faute aux festivals, la faute au public.

  5. Ben d’accord mi-figue quand même; je ne comprends toujours pas pourquoi ce serait la faute du public. En l’occurrence, cette phrase résume assez bien la démarche (arrière) de l’artiste: ‘Pourquoi se cacher derrière l’électrique, surfer sur une mode déjà dépassée alors que sa force à contre-courant s’est toujours imposée ?’
    S’il se déchire avec des costumes de nase et des auto-tunes à deux balles, personne ne l’a forcé. Halte à l’impunité sous prétexte qu’on a été taxé de ‘génie’.

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