Dans ce monde ultra compétitif où chaque musicien doit se battre pour que son herbe soit plus verte que celle du voisin, tout est bon pour ''optimiser'' ses chances de réussite. Dans ce contexte, l'association entre artistes et marques connaît un essor considérable ; elle est devenue l'opportunité en or pour des agences d'attirer l'attention du public et de s'associer à la notoriété et à l'univers de l'artiste. Preuve par l'exemple avec Florian, fondateur robuste de Brandcasterz.

Née il y a trois ans de la rencontre de Olivier Missir — neveu de Léo Missir, ancien directeur artistique culte de Barclay —, Florian Pittion Rossillon et Lucie Codiasse, cette agence cross-média — principe de synergie entre différents supports pour aider au lancement d’un artiste, d’un projet ou même d’une boîte de conserve —  réalise des projets aussi différents qu’aider Samsung Mobile à retrouver un public jeune en produisant une web série, ou relancer Reebok en réactualisant son modèle mythique des années 90, la Pump. À croire qu’aujourd’hui, il est devenu indispensable d’avoir une stratégie marketing si l’on veut voir son nom en tête de gondole. Jusque-là, rien de bien neuf sous le soleil dans la course au market.
Un autre élément, pourtant censé être inhérent à toute démarche artistique, devient néanmoins secondaire : la qualité du produit. J’en veux pour preuve la musique que vend Brandcasterz. NO-EMY, dernière trouvaille de l’agence, est, outre un nom très équivoque, une sorte de rencontre entre David Ghetto et une Lio 2.0 qui a certainement plus d’amis sur Facebook que dans la vraie vie. Un choix artistique que Florian, l’une des têtes pensantes de Brandcasterz, défend corps et âme, son but n’étant ni d’avilir l’œuvre d’un artiste ni de se substituer aux labels. Si un musicien fait de la soupe, c’est pas à lui qu’il faut s’en prendre mais au principal intéressé. En bref, si l’agence vante les mérites d’un artiste dénué de tout talent, Florian a quant à lui omis d’être con. Ami musicien, toi qui continues de croire que tes démos gravées sur CD sauront trouver preneur sans l’aide de Dieu ni même d’une tierce personne, cette interview est pour toi.

Bonjour. Ça consiste en quoi exactement, le cross-média ?

Florian : En gros, c’est la capacité à mobiliser un grand nombre de canaux de communication. Tout ce qui est digital – y a beaucoup d’écrans aujourd’hui – l’événementiel, l’achat d’espace et puis la production audiovisuelle et musicale.

Que des agences de communication et des marques collaborent et gèrent les artistes, c’est pas un peu incompatible ?

Brandcasterz est née de la rencontre des logiques d’agence, c’est vrai, mais aussi de la production audiovisuelle et musicale. Mon associé Olivier Missir et moi-même sommes passés par différents métiers de la musique. Olivier s’est beaucoup consacré à l’événementiel musical et au rapprochement entre les artistes et les marques. Moi j’étais journaliste dans la presse musicale, j’ai pendant plusieurs années été à un poste chez Amazon où je faisais beaucoup de marketing et d’éditorial musique. Étant, comme vous, très porté sur la musique, j’ai également organisé pas mal de soirées à titre personnel. Au lancement de Brandcasterz, on avait donc un bagage personnel et professionnel sur la musique qui nous a amené à y penser naturellement. Après, ayant une agence à faire tourner, lorsqu’on travaille sur un projet musical, on pense aussi au volet qui concerne son financement et sa rentabilité. Mais on a un regard sur le contenu et la création. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, on ne peut pas imaginer markéter n’importe quoi et le vendre à n’importe qui. Tout ça pour dire qu’il y a une part évidente de passion personnelle.

« Il y a une forme de beauté dans PowerPoint. La beauté du vide. »

Donc, si je comprends bien, un coup de cœur pour un artiste ne suffit pas. Il faut qu’il corresponde à des critères de rentabilité ?

La première logique, c’est celle de la ligne artistique. D’autres agences sont des vendeurs de soupe parce qu’ils ont une palette d’offres énorme. On ne voulait pas être une énième agence dans ce créneau là. Et, puisque Brandcasterz cultive un certain sens de l’innovation, on aime bien surprendre et proposer des choix audacieux. On ne vend pas non plus du death metal. Mais après tout, y a pas que le death metal dans la vie.

Pour sûr.

Moi j’aime bien le death metal !

C’est pas trop mon truc, la voix d’outre-tombe y est pour beaucoup.

Y a pas le côté noisy/arty de Swans ou de Sonic Youth, mais j’aime bien quand ça bourrine.

Et c’est quoi votre groupe de death metal favori ?

J’en ai pas l’air comme ça, mais je suis vieux. Mes références sont celles des années 90. C’était un grand moment de ma vie que de voir Napalm Death en concert à l’Élysée Montmartre. En tendant l’oreille, on peut d’ailleurs discerner une influence industrielle. Sinon dans le genre bête et méchant, Cannibal Corpse.

Florian par Franck Loriou

Très bien. Et c’est vous qui choisissez les artistes à Brandcasterz, ou c’est une décision collective ?

C’est un choix collégial. Puisque personne n’a le monopole du bon goût, on s’y met à plusieurs.

Vous avez une ligne musicale — à l’image par exemple d’Appris 77 ou The Kooples, qui sont très rock — ou pas du tout ?

En fait on travaille beaucoup en proposant des productions « maison ». On collabore avec un producteur et musicien très polyvalent, Florent Campana, qui a commencé dans le death metal, d’ailleurs. Les marques aujourd’hui sont intelligentes et elles savent que c’est en laissant libre cours à la création qu’on peut obtenir des résultats.

Vos artistes sont-ils complètement indépendants ? Ne serait-ce qu’au niveau de la création, mais aussi de l’image, du choix des fringues, etc. ?

Brandcasterz a un statut d’éditeur de musique, on est donc en mesure de gérer l’ensemble des droits lié à l’exploitation de la musique en question. On s’intéresse également à la promotion et, en général, ça se fait dans la discussion avec les artistes. On n’a pas vocation à faire travailler des robots. Ça fait longtemps qu’on a tous arrêté de jouer à la poupée, on ne recrute donc pas des gens qu’on veut habiller de pied en cape. Au contraire, ce sont des personnes qui ont un talent et une sensibilité telle qu’elles peuvent nourrir une réflexion. Quand bien même elle se formalise dans un document PowerPoint. Cela dit, il y a une forme de beauté dans PowerPoint. La beauté du vide.

Encore une fois, je suis peu sensible à cette forme de beauté.

Il faut savoir dompter PowerPoint pour que, loin de réduire la pensée, il en soit le bon messager. C’est un levier central de la vie post-moderne. Une bonne présentation c’est 30 % de PowerPoint et 70 % de conviction. J’ai plein de formules comme ça.

« En France, il y a une espèce de vision rimbaldienne selon laquelle l’artiste est forcément un mec maudit mourant de faim dans le caniveau. »

Gardez-en sous le coude. Les collaborations artistes/agences se multiplient. La musique est-elle soluble dans le marketing ?

En ce moment, il y a tout un pan de l’industrie musicale qui a envie de croire que les marques vont voler à son secours. Des marques perçues comme des banques prêtes à signer des chèques sans regarder ce qu’on leur vend. C’est pas du tout le cas. On y revient, mais ce qui fait le filtre, c’est : est-ce que l’artiste est en phase avec une stratégie marketing ? Mobiliser la musique dans le cadre d’une stratégie marketing, ce n’est pas la réponse universelle. Une collaboration n’a de sens, au niveau de la temporalité, seulement pendant une campagne de communication. Les marques ne sont pas là pour assurer le développement d’un artiste, du moins pas de manière durable comme un label. SFR, par exemple, lance des artistes et les finance pendant un an. C’est tout. Donc oui, les collaborations se multiplient, mais ces marques ne se substituent pas aux labels.

Un artiste aujourd’hui peut donc survivre sans une stratégie de marketing ?

Tout dépend des motivations de chacun. À une époque, les groupes distribuaient des flyers à la sortie des cours et des concerts. À chaque période ses outils de communication. Je dirais que tout le monde peut assumer certains fondamentaux sans avoir fait cinq ans en école de commerce ; animer une fan page et poster des photos, par exemple. Le marketing, il commence là.

Et ou s’arrête-t-il, alors ? Y a-t-il une limite séparant l’artiste du produit vitrine ?

Pour parler de la pureté de l’art, je suis frappé de voir les différences entre les pays anglo-saxons et la France. Ici, il y a une espèce de vision rimbaldienne selon laquelle l’artiste est forcément un mec maudit, mourant de faim dans le caniveau, l’Histoire s’assurant de faire sa gloire cent ans après. Alors que dans les pays anglo-saxons, un artiste alternatif peut être très engagé politiquement, il peut avoir un système de promotion très élaboré, un manager, un agent, avoir une logique économique relevant de la recherche de rentabilité, etc. Mais sa sincérité ne sera pas remise en question. Ce sont deux visions. Mobiliser des outils modernes destinés à faire connaître son œuvre, est-ce forcément l’affadir, la castrer ? Non. Ou alors c’est que le mec est prêt à tout pour gagner de l’argent. À ce moment-là, ce n’est pas la faute du marketing. S’il dit « Ok, je prends le chèque et je veux bien changer les paroles », c’est son problème. C’est l’univers de l’artiste qui fait sa valeur uniquement.

Vous pensez qu’un mec comme Springsteen a vraiment besoin de mener une sorte de campagne présidentielle pour promouvoir son dernier album ?

Leur conception est différente de la nôtre. Un artiste américain pense qu’étant créateur de l’œuvre, il la représente et doit donc, pour se faire entendre, s’en donner les moyens. C’est le circuit de l’entertainment mais c’est tout à fait compatible avec la musique elle-même.

Si le marché du disque ainsi que les labels se portaient mieux, se tourneraient-ils vers les agences et les marques pour les soutenir ?

Il est vrai que l’urgence économique dans laquelle se trouve l’industrie du disque motive une relation plus étroite entre celle-ci et les marques. Aujourd’hui, beaucoup plus d’artistes se posent la question plus vite parce qu’on leur dit que c’est comme ça que ça se passe mais… ça fait longtemps que les artistes et les marques travaillent ensemble.

Déjà au temps de la Cour, les plus grands pianistes jouaient pour le roi afin se promouvoir.

Et personne ne leur en voulait. C’est par exemple sur le tournage d’une pub Pepsi que Michael Jackson s’est brûlé le crâne, ce qui a eu pour effet d’accélérer son addiction aux médicaments et donc sa disparition prématurée. C’est donc la faute de Pepsi si le roi de la pop est mort.

Je n’avais jamais eu vent de cette thèse.

C’est une thèse de moi-même, un lundi à 19 H. C’est en tout cas à partir de ce moment-là qu’il a commencé à prendre des calmants pour la douleur. Feu Michael !

http://brandcasterz.com/

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