Ecrire de Jean-Benoit Dunckel et Nicolas Godin qu’ils ne sont pas des « clients » faciles est une douce litote. Faut dire qu’assurer le service après vente de leurs disques façonnés comme des OVNIS pilotés à distance, c’est pas trop leur truc. Et jusque à la sortie cette semaine de cette bande son du « Voyage dans la lune » de Méliès, on avait pour ainsi dire perdu le contact avec les deux cosmonautes. On ne voulait plus vraiment être au courant d’Air.

Tout avait pourtant très bien commencé. Leur premier safari lunaire, je l’avais découvert dans un bus scolaire. Une main sur le walkman et l’autre sur la gueule cabossée, histoire de masquer le cocard infligé la veille par un judoka jaloux pour une sombre histoire de nana. Même pas vraiment belle, quel comble. Mais c’est ainsi. Il est des madeleines proustiennes qu’on n’oublie pas, des marqueurs temporels qui donnent à certains disques des couleurs particulières. Celles de « Moon Safari » étaient bleu cocard. Ce matin là, avec mon walkman pour seul anesthésiant, Sexy boy avait une résonnance particulière, ce fut le début d’une histoire plus que singulière.
Nous étions en 1998. Air débutait sa carrière dans la cour des grands et chaque disque devrait dès lors rythmer chacun de mes passages en classes supérieures. Chaque album serait une étape à franchir, chaque apparition prendrait l’air de retrouvailles. Ce serait la fin de l’adolescence avec « Virgin Suicides », l’envolée vers l’âge adulte avec « 10,000 Hz Legend » puis les premières fritures sur « Talkie Walkie ». C’est là qu’on a certainement commencé à se perdre, moi dans ma vie d’adulte débutant et eux dans leur home studio monté – et financé – de toutes pièces avec leurs premiers salaires.

La musique est alors devenue un travail à temps complet, quelque chose de sérieux. Avec des impératifs et des impondérables. Des collaborations réussies – le premier disque de Charlotte Gainsbourg qui quoiqu’on en dise reste un disque de chevet décemment écoutable – d’autres un peu plus caricaturales – les B.O. très « nature et découverte » pour Sofia Coppola – et un certain ennui a commencé à poindre ; comme si chacun des nouveaux albums ressemblait désormais à nos vies terriblement banales parce que dénuées de tout relief. Après avoir tutoyé les sommets, Jean-Benoit Dunckel et Nicolas Godin s’étaient reconvertis en vendeurs de bougies parfumées pour une génération de fans qui avaient eu envie, le poids des années aidant, d’avoir des gamins et de manger bio. Publiés coup sur coup, « Pocket Symphony » et « Love 2 » ne ressemblaient à rien d’autre que ce cliché d’une fin de soirée entre trentenaires qui hésiteraient à monter le volume de la chaine, de peur de réveiller leurs progénitures. De l’uneasy listening, Air était subitement passé à la musique d’ascenseur. Ce qui, question mise en orbite, ne nous élève pas bien haut.

Autant vous dire qu’Air était pour l’archétype du groupe générationnel, cette photo en sépia qu’on tripote un peu nostalgique sans trop savoir ce qu’on peut encore en attendre, en espérer. Les revoilà avec une nouvelle bande-son du « Voyage dans la lune » de George Méliès, un nouveau disque dont l’histoire a déjà été brillamment – et très subjectivement – été raconté ici. Ecrire que les deux renouent ici avec la maestria de « Virgin Suicides » serait un mensonge qu’on évitera, par gain de temps, aux lecteurs. C’est bien connu, quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. Alors jouer la carte du « come back miraculeux », ce serait autant une insulte à votre intelligence qu’une manière de réécrire l’histoire en tentant de vains parallèles.
Le voyage de Méliès n’est pas « Moon Safari «, mais tout de même. Ce même disque permet à Air de reprendre un peu d’altitude après plusieurs années à somnoler dans leur cockpit. Retour à l’expérimental mélodique (Cosmic Trip), quelque part entre François de Roubaix et Pierre Henry, et aux aventures romanesques avec Parade et une poignée d’autres titres en parfaite symbiose avec les images d’un autre siècle. C’est bien suffisant pour harceler le service presse et décrocher 45 minutes avec les deux muets. Obtenir d’eux les réponses aux questions qu’on s’est toujours posé, parvenir à comprendre leurs errances et les disques ratés. Bref, en un mot comme en cent, tenter de se réconcilier avec une part de soi, qu’on pensait enterrée à jamais.

Enfoncés dans leur sofa, Godin & Dunckel semblent un peu fatigués. Voilà déjà quatre mois qu’ils assurent la promo du disque, d’un pays à l’autre, inlassablement. Invariablement. Cette après-midi là, il pleut sur Paris. Le studio du duo est, comme on l’imagine, un cocon ouaté où rien ne filtre ; un étrange endroit où les instruments s’amoncellent à coté des disques d’or, parfois même posés nonchalamment à même le sol. Histoire de. A défaut d’être en apesanteur, on évite de s’appesantir. Bienvenue dans la chambre à Air avec une paire de musiciens qui, surprise, ne se dégonfle pas.

Air // Le voyage dans la lune // EMI
http://fr.aircheology.com/

Réalisation: Xavier Reim

5 commentaires

  1. Dans un soucis de véracité journalistique, je tiens à préciser qu’aucune mouche n’était présente lors de cette interview. Merci.

  2. Ah j’oubliais ! C’est vrai, les mecs vivent dans une telle bulle qu’aucune trace de vie n’a pu filtrer jusqu’à leur studio !

  3. Vraiment bien cette interview. Merci de nous avoir montré leur magnifique studio.

    Moi je trouve vraiment mieux Love 2 que ce Voyage dans la lune.

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