Chaque seconde sur la planète internet, des milliers de clips meurent dans l’indifférence générale sans même avoir été visionnés jusqu’au bout. Faute de temps de cerveau disponible, ils sont alors jetés dans ces fosses communes que sont devenus les disques durs, puis s’envolent au paradis des merdes, caché derrière le cloud computing. L’œuvre cinématographique de Nils Maisonneuve, réalisée pour le groupe Le Matin, permet heureusement d’oublier pendant 4 minutes et 53 secondes que nous sommes devenus des cliqueurs amnésiques même pas foutus d’aller jusqu’au bout de cette

Les clips ont-ils signé l’arrêt de mort de la musique ? C’est un peu la question qu’on se pose tous les jours. « On », c’est les médias, mais c’est aussi vous, qui engraissez quotidiennement le compte en banque de Youtube en regardant les 10 premières secondes de clips inintéressants introduits par des pubs pour des déodorants, des serviettes hygiéniques pour les digital natives et autres produits de consommation que, de toute façon, vous n’achèterez jamais.

Trop de couleurs distrait le spectateur

La vérité, au delà du fait que la majorité des musiciens de 2018 semblent avoir compris qu’il fallait désormais être vu pour être entendu, c’est que nous sommes tous devenus un gigantesque produit de consommation, certes, mais qui n’achète plus rien. Les annonceurs ne l’ont pas encore compris (ou bien feignent-ils l’incompréhension pour perpétuer un vieux système sur les rotules), mais vous n’avez plus le temps de rien, pas plus de regarder des clips à la con où des acteurs tentent mollement d’incarner des histoires à peine plus palpitantes qu’une chasse d’eau qui fuit que de cliquer sur des liens commerciaux où vous seriez tenté de dégainer votre carte bleue (trop fatiguant). Les chiffres le montrent tous les jours : à l’ère des notifications permanentes, la moindre tentative de concentration est perturbée au point que nos pouces ressembleront bientôt à des protubérances violacées sans pour autant qu’on retienne quoique ce soit des clips qu’on vient de survoler du regard en faisant dix autres choses en même temps. Les clips, en fait, à force de se démultiplier, rendent con.

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Si c’est gratuit, c’est toi le produit

Arrivé à ce stade d’un article initialement consacré à une exclu clip qu’on est en train de totalement niquer au fur et à mesure qu’on vous éloigne des images de Carole Bouquet, il s’avère pourtant indispensable d’en rajouter une couche sur cette matérialisation fatigante d’un art – la musique – par essence invisible : les clips sont devenus une tentative désespérée pour faire parler de soi en un minimum de temps ; c’est un signe de l’époque. C’est considérer que la musique n’est plus suffisante pour se suffire à elle-même, qu’il faudrait inévitablement devoir lui accoler un présentoir, comme une vague publicité moisie, ce qui n’est pas forcément illogique quand on voit le nombre d’agences pub ayant transformé de vagues bons compositeurs en bête de somme synchronisables pour toutes les marques. L’internaute, moins dupe qu’il n’y paraît, tombe de moins en moins dans le panneau : on ne compte plus le nombre de vidéos dont le spectateur s’échappe au bout de dix secondes de visionnage, tel un évadé d’Alcatraz fuyant un maton fringué comme Ronald McDonald.

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Fast & not curious

Ce préambule terminé, il est désormais temps de s’intéresser au Carole Bouquet de Le Matin. Extrait de l’album « Chnasons » paru en février dernier sur Poussière d’Époque, l’objet est dans son ensemble une énorme faute de frappe dans un système trop bien huilé – il suffit de regarder les statistiques Youtube de tous vos artistes anglo-saxons préférés, 20 000 vues en moyenne, pour comprendre que cette sous-culture mondialisée n’intéresse pas grand monde. L’album en question, disponible gratuitement en écoute ci-dessous, ne rentre dans aucune des cases des normes ISO en vigueur : il est inécoutable, débute par une chanson intitulée Jean-Paul Rouve quoi et son auteur (Charles Torris), en bon Howard Hughes de l’indie rennais, s’est fait connaître sur l’internet parallèle pour avoir proposé à des artistes de produire un disque par semaine sans aucune exigence de qualité sur le contenu. Ce label numérique, vicieusement nommé Petite année de la marchandise, condamne la trépanation dont nous sommes actuellement tous victimes et qui nous pousse quotidiennement à manger de la merde en prétendant déguster du caviar.

Rien de tout ça sur Carole Bouquet, le clip, où un hommage 2.0 est rendu à l’actrice française au travers d’images qui puent le spleen numérique. A mi-chemin entre un clip de Joakim et une pub pour Sarenza (le leader de la chaussure en ligne, au cas où), cette étrangeté s’inspire dixit le réalisateur des « incels », ces célibataires involontaires qui peuplent l’Internet et qui, tous seuls le soir, engloutissent des vidéos comme on irait se vider dans une maison de passe.

Le clip de Carole Bouquet mériterait de passer en haute rotation sur toutes les chaines Youtube et sa musique, de servir de générique au JT de TF1. On n’en est pas là. On n’en sera jamais là. D’ailleurs on n’est même pas sûrs que tu sois arrivé(e) au bout de cet article. Skip this ad in 25 seconds.

Le Matin // Chnasons // Poussière d’époque
https://poussieredepoque.bandcamp.com/album/chnasons

Minute promo : Charles Torris de Le Matin a prévu un nouveau 12″ chez Lost Dogs Entertainement pour la fin du mois de mai, et il signe également la B.O. du jeu vidéo Bel-Océan de chez Fromage Interactif.

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