En 2000 sortait l’unique album de l’écrivain aux joues sans dents, et 0,001% de la France prenait de plein fouet sa poésie urbaine taillée pour ces échangeurs d’autoroute où l’on aurait mangé un panini saumon en attendant la fin du monde. Presque deux décennies plus tard, la co-gérante du label Lentonia, prolonge le voyage Paris-Dourdan jusqu’à Pluton.

On peut aimer des disques qu’on n’écoutera plus jamais. C’est rare, mais ça arrive. C’est précisément, d’ailleurs, ce qui en fait toute la beauté. Le « Desido », dont il est ici question, rentre parfaitement dans cette case. C’est le son d’une musique française irradiée où les membres de Grégoire, Biolay ou encore Louane pendouilleraient dans des carcasses de voitures rouillées, comme autant de preuves de l’ancien monde après que des ninjas droïdes venus de Ruchine (un méta-pays allant de la Sibérie à Pékin) aient détruit l’occident sur des Segway fonctionnant grâce à des piles au plutonium et diffusant du Suicide à 300 décibels dans des villes désertes. C’est en ces termes, grosso modo, que l’écoute de « Desido » débute, porté par le chant de robots désauto-tunés qui devraient déplaire à toute personne normalement constituée et en âge d’avoir une carte de fidélité chez Monoprix.

Elmapi, pour ceux qui ne la connaissent pas (à l’échelle du peuple de Cyril Hanouna : une infinité de personnes), c’est Elise Pierre. Connue de ses fans pour avoir dépassé et la vingtaine et les frontières de la normalité depuis bien longtemps. Exilée à Washington depuis 2014, elle a tout de même offert à la France des précédents essais, et un label (Lentonia) cofondé, et sur lequel on trouvait déjà des étrangetés sublimes comme EDH (le projet d’Emmanuelle de Hericourt, l’autre gérante de la PME auditive) ou Kim Ki O. Cette fois, la patronne revient aux affaires, et difficile d’imaginer la chose autrement que comme une pop du futur, une vraie pop du futur ; en ce sens que les 11 « chansons » qui composent l’objet pourraient très bien trouver leur place sur un remake de Blade Runner où April March incarnerait une poupée robot sexuelle déclamant des poèmes déprimants lus sur une Kindle d’Amazon. Rencontre interstellaire, vu comme ça, est une dégénérescence des Pics de pollution de Houellebecq en version punk métallique, mal chantée, tellement bancale que le monde, si étrange à force d’être trop normal lui, en redevient droit. « Tu vois la vague puissante qui t’emporte / vers la plage ou l’énergie frontale te disperse / création lunaire / en résidus de coquillage ». Que faire après ça, si ce n’est enfiler un maillot et se suicider dans sa salle de bains en écoutant le titre qui suit, Mall N 4, avec son groove de centre commercial techno 2045 ?

Un suicide, c’est certainement ça. « Desido » n’est rien d’autre qu’une merveilleuse assistance pour en terminer avec la vie telle qu’on l’a connu. Tout le disque est comme ça. Croisement moderne d’une esthétique de la précarité de la composition en home-studio-chambre-de-bonne et d’une révolte ambitieuse qui, hélas, sera dans le meilleur entendue par 500 personnes. Nous avons évidemment le droit de préférer à cette superbe mais quoiqu’un peu plombante agonie digitale les mensonges pop racontant quotidiennement des histoires d’amour compliquées et banales ; on a le droit, mais ce serait nier toute la beauté de ce disque à la fois moderne et plus ambitieux que ne le laisse croire sa supposée confidentialité.

Dansons sur les braises de nos disques durs calcinés, dit la chanteuse. Du coup, c’est même pas dit qu’on n’y revienne pas.

Elmapi // Desido // Lentonia

https://lentoniarecords.bandcamp.com/album/desido

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